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Teneo lupum auribus (ou « Les sagittaires sans arc »)

 

Roman inachevé

 

Axel CHAMBILY-CASADESUS

 

 

Parfum de folie superbe, Tu t'étires calmement vers les astres. Pour cet emportement, Pour ce coup de vent, Je t'emmène avec moi vers un ciel aussi haut Que mon âme est immonde.

 

"Tout homme doit mourir un jour, mais toutes les morts n'ont pas la même signification."

Mao-Tsé-Toung

 

"En prenant pour prétexte le prétendu principe de l'utilité générale, on peut aller où l'on veut."

Napoléon

 

PROLOGUE 1

L'autre jour, en glandant dans le RER, l’œil vide et l'écharpe en bataille, je pensais. Et oui, encore !

You've got to get up in the morning

With a smile on your face

And show the world

All the love in your heart

Flash à gauche, flash à droite. L'essuie-glace, quoi ... D'ailleurs, mes lunettes commençaient à s'embuer dangereusement et je trouvai opportun de m'asseoir sur le bord du quai.

Ah, ça fait du bien par où ça ne passe pas !

Et non, ça passe-passe, et il faut bien se pousser...

Dur-dur de traverser un campus universitaire de nos jours - parce que les jours des autres, si vous saviez ce que je m'en tape ! La pâquerette pousse bien - elle n'a pas à se pousser, la veinarde - et le pavot aussi. J'arrive frais, tu vois, enfin quoi, normal, tu vois. Quoi, tu vois pas ? Ah bon ...(il est pas bien, ce mec !?)

Où est-ce que j'en étais ? Ah oui, j'arrive norm... Bon. Ben il a fallu que je reparte (c'est l'essentiel !). Et je suis reparti le gazon en broussaille - bizarre ... - et les lunettes en fleurs. Tout ça. Oui, ma brave dame. Comment, que je me mouche ? Ah merde, laissez moi parler. C'est un monde ... Oh oui, vous pouvez rigoler... pffft ! ( Quelle bande de cons ! )

Tout ça, c'est la faute à la bombe. Et j'sais d'quoi j'cause ! J'en avais la narine toute frémissante. Et alors... alors... FLOP ! J'ai foutu le pied dans une flaque d'eau.

Chienne de vie.

Ah merde.

Vous rigolez toujours ? Attendez, ça va être encore plus pissant. Bref, je suis arrivé net et je suis reparti moins net. D'ailleurs, ça se voit toujours.

Shooté, quoi. Flippé, tu vois ? Non, bon. Bon. Attends, je vais insister. Le pied. Comment mouillé ? Mais non, pas celui-là. ( Putain, il est vraiment bouché ! )

Du persil ? Comment, du persil ? Où ça ? Tu le veux, mon pied ? Il en bavait, le mec. Manque de bol, on pensait pas au même. Ah, de l'herbe. Ben quoi, t'es miro, le Mesnilos ? Il en pousse même entre les traverses du RER ! O-DE-ON-MA-BI-LLON-SE-VRES-BA-BY- LON !!

Mais il n'avait pas un tempérament de chat, ni des envies de chiasse. Con, quoi.

Bon, soyons sérieux. Le pied (l'autre). Le gauche. Et ben, je me le suis aussi foutu dans une flaque (une autre. Allez pas croire que je fais esprès.).

Flap. Un coup à attraper la crève. Mais merde à toi. Alléluia !

C'est quand même dément.

Je l'ai pris. Le métro ? Mais non, tare céleste !!! MON PIED; pied. Pied. Piépiépié. Comme les p'tits zoziaux.

Bon. J'y vois purin ( pu-rin ).

Pis l'mec, il est trop con pour être vrai. Tatons.

Merde, c'était une nana...

Voyez-vous comme on peut se tromper. C'que nous sommes, tout de même...

Et ben, tu l'aurais pas cru ! En plus, c'était un dealer. Un dealer con. Doux Jésus ! Est-ce possible ? Je n'en croyais plus mon persil. Bon. Attendez. J'ai presque fini. Alors, tu vois, le RER est arrivé. Et puis tu vois, lui, il est pas reparti. Le con, c'est qu'j'en suis pas revenu. Mais pas du tout. Parce que, tu vois, j'avais oublié que j'étais assis sur le bord du quai.

 

PROLOGUE 2

L'autre jour, en rêvassant dans le RER, l’œil vide et l'écharpe en bataille, je pensais à ceux qui n'imaginent jamais rien. Ou plutôt, à ceux qui croient que tout est important alors qu'il n'y a de véritablement important que ce qui est imprévisible, mieux : ce qui est impensable. Alors, un type s'est approché de moi et s'est assis sur le bord du quai. Puis le RER est arrivé. Mais lui, il n'est jamais reparti. Je n'en suis pas revenu. Il avait oublié qu'il était assis sur le bord du quai.

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Dans le fond, il vaudrait mieux pour tout le monde que le métro et l'herbe ne poussent pas au même endroit. Cela éviterait à beaucoup de gens de se faire des idées fausses en se disant qu'ayant l'un, il serait bien préférable d'avoir l'autre.

Quand la brume fut levée, j'avisai un strapontin sur lequel je chus, tel un ballon rose sur l'océan déchaîné. La foule de six heures était si dense que j'avais du mal à me pencher jusqu'à terre pour ramasser le trop-plein de pensées qui s'évacuait incontinemment de ma pauvre tête embinoclée. Les stations défilaient au garde-à-vous, les moustaches bien lisses et l'air hautain. J'avais le coeur plein de rêves et d'amour, et bien du mal à contenir ses battements indécents. Une grosse dame en prit un dans l’œil et descendit à "Charlie-Star" en bougonnant et en titubant. L'incident sans gravité me fit penser que je devais aussi descendre, pensée qui, je l'avoue, m'avait à peine effleuré jusque là et qu'aussitôt j'abandonnais pour laisser la place à d'autres, bien plus confortables. Quand une autre dame grosse me demanda si je descendais à la prochaine, je lui rétorquai tout de go que cela ne la regardait pas, que c'était une atteinte insupportable à mes droits d'homme et qu'après tout elle verrait bien.

Je profitai de l'intimité d'un couloir pour céder aux avances d'une cigarette qui se faisait de plus en plus pressante. Après quoi, je marchai encore plusieurs jours à la poursuite d'une idée que j'avais perdue la semaine passée et que personne n'avait rapportée, bien qu'une plaque d'identité y eut été suspendue.

En sortant de la rue des Morillons, je remis mon idée sur la fiche qui lui correspondait et refermai aussitôt la double serrure à combinaison, les yeux courageusement ouverts.

Le pancarton indiquait midi juste. Il était donc temps d'ouvrir mes volets à poulies tétraédriques et de sortir mes palpeurs giratoires. Une fois les soupapes ouvertes, le sang se précipitait sur le trottoir, emportant avec lui ma mauvaise humeur. Mes oreilles clignotaient ensuite et le calme revenait après dix-sept spasmes de mon pied gauche pendant lesquelles je restais la bouche ouverte. A midi et trois minutes, mon indicateur de pression se mit à ronronner doucement. Quand la fréquence fut suffisamment élevée, une meute de pékinois enrhumés vinrent se mettre en file hindoue au pas de deux pour m'escorter jusqu'à un distributeur de bretzels liquides.

Nathalie m'ouvrit une porte fraîchement repeinte dont je flattai l'encolure, et me sourit avec un petit bruit de mandibules. Elle baissait les yeux comme une petite fille surprise en train d'éplucher des spaghettis. Il y avait bien trois semaines que je ne l'avais vue, mais elle ne semblait pas avoir vieilli. Ses traits étaient toujours aussi fins et ses lèvres aussi tendres. J'avais envie de l'embrasser. Mais il fallait être sérieux et attendre qu'elle soit sèche pour ne pas craindre de la déformer.

- Tu veux boire quelque chose ?

- Non, ça va. J'ai pas soif. Pas encore. D'ailleurs ça se voit, sinon je baverais.

- Qu'est-ce que tu deviens ?

- Bof, je continue à devenir, en attendant que nous devenions ensemble, n'est-ce pas?

- Bien sûr, tu prends le couloir, et c'est la première à gauche, après la cuisine.

C'est en revenant que je me trouvai nez à nez avec un chien au nom de pamplemousse-label-cinq qui ressemblait confusément à une console Louis XV à laquelle on aurait attaché un panier à salade.

Grégoire venait juste d'arriver, serrant contre son cœur un parapluie qui sanglotait amèrement.

- Ça fait trois jours qu'il n'a rien mangé. Je crois bien qu'il couve quelque chose.

De fait, en déployant le petit être, Nathalie aperçut un œuf cylindrique qui ronronnait doucement entre deux baleines.

- Tu as raison, vieux. Il attend un nuage. On ferait bien de téléphoner tout de suite à l'ausculteur.

Quelques minutes plus tard, la sonnette de l'entrée se décrocha et se propulsa jusque dans le salon pour annoncer avec un accent de satisfaction l'arrivée de l'ausculteur. Grégoire éteignit sa douzième cigarette et se précipita sur le pauvre homme qui n'en demandait pas tant.

- Nous avons un parapluie qui...

Mais déjà l'habile praticien auscultait le parapluie. Il se redressa l'air inquiet.

- Il faut opérer : l’œuf se présente mal. Mademoiselle, voudriez-vous me préparer quelques serviettes et une bassine d'eau bouillante ?

Quand Nathalie revint avec ce qu'avait demandé l'ausculteur, toute la famille était au complet et s'agitait fiévreusement autour de la table qu'on avait apportée pour y allonger le parapluie.

L'ausculteur baisa quatre fois les pieds des parents de Nathalie et Grégoire, et commença la délicate opération. A six heures du soir, l'orfèvre ès-baleines se mit à trépigner de plaisir, brandissant le petit œuf. On mit un peu de musique et tout le monde exécuta en quadrille la danse de Saint Guy.

- Il faudra le mettre au frais et attendre les ides de Mars pour l'éponger. Après quoi, vous serez tranquilles.

L'ausculteur allait prendre congé quand Noëmi, la jeune sœur de Nathalie, toujours en luxe de farces tristes, le lui arracha des mains et s'enfuit à l'autre bout de la maison. Chacun s'excusa pour elle, et puisque l'ausculteur n'avait plus son congé, tout le monde se cotisa pour lui en payer un autre.

C'est alors que la maîtresse de maison fut traversée par une idée lumineuse sur laquelle le chien-pamplemousse se précipita pour l'engloutir d'un coup, dans un concert de joyeux jappements.

- Dites moi, ausculteur, puisque vous êtes là, peut-être pourriez vous nous éviter de déranger un autre de vos confrères. Nous allions justement célébrer la demande.

- Mais certainement, répondit l'ausculteur, bien que ce ne soit pas tellement dans mes cordes... Néanmoins, pour vous être agréable...

Ces mots me firent plus de plaisir qu'un prélude de Bach. Enfin, j'allais pouvoir demander la main de celle que j'aimais. Je jurai au fond de moi-même qu'après la cérémonie, je jetterai à la poubelle tous les spaghetti de la maison.

Après avoir prononcé le discours traditionnel qui semble toujours trop long, l'ausculteur s'empara de sa tronçonneuse à bouton rouge et trancha net la main de Nathalie. Puis il la déposa délicatement dans un mouchoir et me la remit avec un sourire complice. Jamais je n'avais goûté un tel bonheur. Enfin, comme c'était la coutume, l'ausculteur me prit à part pour m'entretenir de ce qu'il me restait à faire.

- Revenez demain avec sa main quand vous l'aurez munie de sa bague et replacez la soigneusement avec les agrafes que voici. Veuillez accepter mes félicitations et mes meilleurs voeux.

Quand l'ausculteur fut sorti, on mit la table et on festoya comme il se doit. Grégoire coupait la viande de Nathalie et Noëmi lui tenait son verre. Après le dîner, je ramassai le congé de l'ausculteur et m'en fut chez le joaillier.

Nathalie avait ce qu'il est convenable d'appeler une grande famille : quatre frères et soeurs. Noëmi, Grégoire, Cyrille et Christophe. Noëmi et Grégoire étaient encore en âge d'aller au bourre-crâne, tandis que Cyrille était parti au Mexique pour s'occuper d'une plantation d'herbes à chats et que Christophe parcourait le vaste monde en compagnie de sa chère moitié.

Cyrille nous avait invité à lui rendre visite et dès que la main de Nathalie fut cicatrisée, nous préparâmes notre périple.

Nous pouvions partir maintenant que Nathalie avait un locataire au quatrième gauche. Autant qu'à faire, il ne fallait rien oublier. Il fallait aussi que tout tienne dans la camionnette que j'avais achetée à un camelot boulevard Barbès. Il faut dire que quand j'eus embarqué mon orgue à pistons symphoniques, il ne restait plus beaucoup de place. Nous dûmes donc nous limiter au strict minimum et éviter tout superflu. Nathalie emballait soigneusement chaque ustensile tandis que je contrôlais la bonne marche des opérations, juché sur mon pupitre à valvules modèle standard.

- ...trois boussoles marines, deux encensoirs, dix-huit bombes à retardement, une demi-douzaine de souris grises, un slip sale, une cornemuse et deux mitrons à soupapes.

- Ok. Tout y est. Tu n'as pas oublié la poire à lavement rotative ?

- Non, je l'ai mise avec le bocal à cornichons.

- Et les cornichons ?

- Avec la trompe de chasse et les soutien-gorge.

- Bon, c'est parfait. Je boucle le camion et on va déjeuner. Tu connais l'histoire du fou qui se promène avec une brosse à dents en laisse ?

- Ah ouais, c'est le coup de la brosse flexible ! Grand enfant, va !

Sur ce, j'éclatai d'un rire de poulie grippée en pensant à ce que pouvait bien être une brosse à dents flexible.

- Dis donc, quand tu auras fini de te coincer les gudules, on ira bouffer...

J'embrassai ma petite amoureuse et l'emmenai bras dessus jambe dessous jusqu'au plus proche aquarium. Nous fûmes très fiers car nous y parvînmes sans un faux-pas.

Le maître d'hôtel ouvrit le sas et nous fit pénétrer dans le temple vitré où on ne savait plus très bien, de ceux qui étaient dedans et de ceux qui étaient dehors, lesquels se marraient le plus en regardant les autres. Le menu était menu. Comment aurait-il pu en être autrement ?

- Mon Axel, tu ne crois pas qu'on va être en retard ?

- Mais non, on a toute la vie...

Le temps de régler l'addition et nous sortîmes, tandis qu'un type qui n'avait pas payé son repas fut empoigné par deux garçons de cuisine et précipité du haut de l'aquarium dans un cloaque à vaisselle où il effectua le plongeon traditionnel en apnée. Nous croisâmes l'équipe de réanimation en retournant au camion et un gendarme à coulisse me fit observer qu'il ne fallait pas stationner là. Il avait un trou du cul à ressort, ce qui étonna fort Nathalie.

- Oh, rétorquai-je, un vieux modèle, sans doute...

En montant dans le camion, je rêvais déjà aux steppes mexicaines et aux fameux rhinocéros à pédales. Nathalie fredonnait Chapi-Chapo-Tagada sur l'air de "Viens poupoule". Bref, tout était bien, tout était suave. Même le zouave du pont de l'Alma avait ôté ses chaussures pour ne point les mouiller.

C'est en arrivant à Chartres que nous prîmes le chemin du retour, car Nathalie avait mal aux jambes. La route avait été rude et le soleil impitoyable. Nous prîmes le RER, la rue des Morillons, allâmes dire bonjour à l'ausculteur et au zouave du pont de l'Alma. Après avoir englouti une "sorcière des sables" - une spécialité de sandwich à l'aquarium - nous remontâmes dans le camion. Le gendarme à coulisse n'était plus là. Un voile sombre planait au dessus de nos têtes et de célestes foudres nous menaçaient. L'enthousiasme, la bonne humeur, la joie et les transports de négresses revinrent quand je découvris le trou du cul à ressort que le gendarme avait laissé. Notre retour n'aurait pas été vain. Je l'enveloppai avec précaution et le rangeai sous le siège avant droit. Voilà qui ferait un joli cadeau pour Cyrille. Comme il n'y avait pas de tigre à proximité, je mis mon pied dans le moteur et l'en ressortit aussitôt en faisant ouille-ouille-ouille comme il se doit.

C'est ainsi que Nathalie et moi apprîmes rapidement à connaître Chartres, sa cathédrale, ses auto-stoppeurs et ses brosses à reluire. Au bout de deux ans nous avions fait sept-cent-trente fois l'aller et retour Paris-Chartres, ce qui fait, si je ne m'abuse, - comme disait le carré de l'hypoténuse - un voyage par jour. Les voyages formant la jeunesse, nous nous préparions ainsi à couler de tranquilles vieux jours.

Et Nathalie avait toujours mal aux jambes. On avait bien, au passage, pensé à les faire enlever, mais l'ausculteur s'était ausculté et on avait du, à cause de cela, l'ensevelir en terre musulmane.

Ce soir la, comme tous les autres qui précédèrent, un caillou fut jeté à la face de l'univers par la fronde du temps. Et l'amour émouvait les pivoines.

Nathalie dormait, la tête au creux de mon épaule et le reste dans la chambre d'amis. C'est la puissance de nos rêves, de notre amour et de notre imagination qui nous emmena là où nous rêvions, où nous aimerions, où nous imaginions d'aller. Les camions sont comme toute chose : ils ne savent pas très bien ce qu'ils ont. Le mien avait le souffle court, mais je n'avais pas voulu le lui dire pour ne pas lui faire de peine. Je ne savais pas alors qu'un jour, beaucoup plus tard, je rencontrerai une asthmatique, plus belle qu'un camion, mais beaucoup moins rapide.

- Axel ?

- Oui.

- Je rêve ?

- Sais pas . Je rêve peut-être aussi. Alors...

- Est-ce que tu vois là-bas ?

- Oh oui je vois là bas.

- Et là ?

- Aussi.

- Tu veux allumer ?

- Bon je boude, mon amour.

- Bon j'allume, mon amour.

Mais la lampe n'était plus là et le chevet non plus. Le réveil fut brutal. Un horrible fracas de miaulements déchira l'éther , ainsi que le fond de mon pantalon. Nathalie se leva précipitamment. Les fenêtres volaient bas : il allait pleuvoir.

------------

Cyrille était campé là, debout, sa sulfateuse aux pieds, qui chassait avec de grands gestes un régiment de chats de la trente deuxième division d'infanterie. Nathalie se serra très fort contre moi et bondit au dehors pour embrasser Cyrille qui ne nous attendait plus. Sa longue barbe blanche respirait la sagesse et ses yeux l'émotion.

- Bonjour, Nathalie, dit-il d'une voix monocorde et magnifiquement timbrée. Bon voyage, tous les deux ? Et caetera, et caetera ... T'as du feu ?

Nathalie sortit une tranche de jambon toute neuve de son sac à main et l'offrit à Cyrille qui l'alluma comme une feuille de santal et s'en fut fumer sa moquette.

 

Note : Il faudrait que je trouve quelque chose pour remplacer la moquette de Cyrille. Mais j'en ai marre de rendre leur congé aux ausculteurs, de recoller les mains que j'ai coupées et de ressusciter la cathédrale de l'Alma et le pont de Chartres. J'avise le lecteur que, désormais, je décline toute responsabilité pour la casse qui va suivre.

Rectificatif : Tout bien réfléchi, je paye à Cyrille un tapis volant, parce qu'on est mal assis par terre.

 

Le dîner était délicieux quoiqu'original. Il faut s'habituer à la cuisine mexicaine. On ne pense jamais à çà. Nathalie et moi n'étions pas trop dépaysés par le thé au viandox, mais le steack-frites nous assura une bonne dose d'émotions fortes auxquelles, heureusement, Cyrille était habitué depuis longtemps.

Que voulez-vous, je n'ai jamais su avoir peur. Il n'est pas facile de manger un steack-frites sur un tapis volant avec une brosse à dents flexible dans le derrière.

- Mais la nuit tombe déjà ! s'exclama Nathalie.

- Quand vous vous levez à Paris, commença Cyrille, le temps de venir ici, de dîner, et il est déjà l'heure de vous coucher. C'est simple !

- Pistache ! confirma Nathalie.

- Bien, continuai-je, allons nous mettre au lit.

La chambre était fraîche, bien qu'étroite, et la lune était là.

- Bonsoir, mon amour.

- Bonsoir, ma tendresse.

Ayant ainsi salué notre amour et notre tendresse, nous nous retirâmes sur la pointe des pieds pour ne pas les éveiller et commençâmes une partie d'échecs dans la courelle pavée, avec des chats mexicains en guise de pièces et des petits pois sauteurs en guise de pions. Cela ne dura pas très longtemps. Aussi Nathalie me glissa-t-elle à l'oreille : "Je te veux tout nu entre deux tranches de pains...". Ses baisers chauds couraient dans toute la pièce et mon corps leur faisait écho. Les agrafes de son poignet avaient disparues et sa main tendre et folle, prenant la mienne, battait au creux de ma paume au rythme de nos soupirs, quand j'entendis venir du fond de sa poitrine une voix timide :

- C'est pas là...

Puis nous roulâmes dans le rêve. Demain, nous irions courir la pampa.

------------

Midi sonna à la dégoulinante du bord mais comme tout le monde dormait, personne n'alla ouvrir. Midi resta donc à la porte et Nathalie bondit hors du lit, son corps tout couvert de rosée, et hurla joyeusement :

- Aujourd'hui, nous allons courir la pampa !

Puis elle partit faire un brin de toilette et se mettre un peu de trompe-couillon sur la poire. Enfin, je me levai, puis me rasai en fredonnant l'air de "si tu n'en veux pas je la remets dans ma culotte". Seuls mon rasoir et le truc-à-zieux de Nathalie nous avaient suivis au Mexique. Soudain, le rasoir planté dans le front, je m'écriai :

- Et la camionnette ? Il va absolument falloir la récupérer!

Cyrille entrait justement dans la chambre en sifflotant, portant un bonjour sous le bras qu'il nous remit avec un gentil sourire. Nathalie enchaîna :

- Cyrille, tu pourrais peut-être nous dire comment récupérer une camionnette garée à Paris en face du pont de l'Alma ?

- Oui, répondit Cyrille. Il faudra ruser. On va envoyer un petit pois voyageur.

Aussitôt je rédigeai le billet, adressé au gendarme à coulisse :

"Salut à toi, ô commandeur des contrevenants. Daigne recevoir notre humble requête. Prends les clés que voici, récupère ton trou-du-cul-à-ressort sous le siège avant droit de la camionnette garée en face du pont de l'Alma et veux-tu nous faire parvenir la camionnette dans les meilleurs délais. Et va te faire voir, sale flic."

Après le déjeuner, Cyrille nous conduisit à la gare pour que nous puissions aller attendre la camionnette. Les quais étaient déserts. Seuls trois voyageurs s'entassèrent dans un unique wagon qui servait pour tous les parcours. C'était le seul qui était resté après qu'on eut décrété que la voiture de tête devait être supprimée parce que trop souvent bondée. Et encore, il parait qu'on avait hésité à supprimer aussi celui-la. On ne prenait jamais de billet : on payait une taxe forfaitaire et on attendait que le wagon démarre. Si l'on voulait aller quelque part, on était sûr d'y arriver, car il allait partout. Les douaniers laissèrent donc passer le curé, le colonel en retraite et le marmot de deux mois, après leur avoir fait remplir une fiche sur laquelle ils devaient indiquer tout ce que n'étaient pas les objets qu'ils emmenaient avec eux. Ainsi le curé nota qu'il n'emportait pas de voiture, d'avion, de pompe à trou , de capotes anglaises, etc. pour dire qu'il n'emportait rien. Le colonel en retraite montra sa carte et sa jambe de bois. Les douaniers s'en emparèrent pour faire leur feu du soir et lui rendirent la liberté en échange. Il est vrai qu'il n'en avait plus grand-chose à faire. Quant au marmot de deux mois, il semblait absorbé par le comportement des deux autres et cela faisait office de laissez-passer.

Une fois de plus, le soleil descendait sur l'horizon. J'aime le crépuscule, je hais l'aurore. C'est pourquoi je me lève le plus tard possible pour m'éloigner de l'une et m'approcher de l'autre. Ainsi les journées sont courtes et fraîches. Cette fois la, le soleil rebondit deux ou trois fois sur l'horizon qui était un peu plus dur qu'à l'ordinaire, puis traversa énergiquement l'imaginaire sur le coup de six heures. Le wagon était de retour.

Je suis assez fier de toutes mes conneries et je crois qu'à circonstances égales je les referais presque toutes. Ainsi en est-il de la plus célèbre connerie de l'existence : l'amour. Pour celle la, je donnerais bien dix poils d'éléphant. Et je resterais con. Contre vents et marées basses.

Nathalie, qui avait un œil de pharynx, vit la première un piston symphonique qui dépassait d'une fenêtre du wagon.

- Piston à tribord !

- Pouët-pouët-coin-coin ! fit le chef de gare en mexicain.

Ce à quoi le wagon répondit par un haussement de cheminées et continua son chemin. Le chef de gare était tellement furieux qu'il se mit à courir dans tous les sens en levant les bras, cependant que le wagon s'éloignait dans les cactus avec un air profondément satisfait. Sur ce, tel un scorpion noir, le chef de gare se donna le départ d'un coup de sifflet dans une vieille pompe à vélo et s'évanouit dans la pampa tous freins lâchés, en faisant une grosse fumée bleue.

Voyant ce vilain nuage, la nuit tomba comme un aigle pour l'étouffer mais elle se fit très mal. Nathalie lui fit un pansement avec un croissant de lune et dégagea le chef de gare à moitié asphyxié. Comme il ne travaillait pas la nuit, il s'endormit sur place, bercé par le doux murmure des avions à réactions qui allaient s'écraser un peu plus loin. Cyrille devait commencer à s'inquièter.

Il y avait décidément bien peu de monde dans la pampa et notre soif de rencontres n'était guère satisfaite. Nathalie ayant pansé la nuit, nous avions un jour tout neuf à notre disposition. Nous l'emploierions à retrouver la camionnette et à visiter la plantation d'herbe à chats.

Quand le chef de gare eut récupéré tous ses esprits qui traînaient un peu partout, il était encore plus furieux qu'on ait saboté sa nuit et il repartit au travail en bougonnant, ce qui ne servait à rien car les trains mexicains ne savent pas faire la différence entre le jour et la nuit. Il eut donc tout loisir de nous expliquer comment revenir à la plantation et en profita pour faire un brin de causette.

- Pour le wagon, repassez demain. Je pense que je l'aurai attrapé au lasso. Pour rejoindre la plantation du père Cyrille, prenez tout droit face au soleil et retournez-vous de temps à autre pour voir s'il n'y a personne derrière vous. Enfin, faites demi-tour pour venir me demander la suite.

- Comme vous parlez bien français ! m'exclamai-je.

- Oh, répondit modestement l'homme à la casquette, la langue m'a poussé tout naturellement un beau jour. Depuis, personne n'est venu me l'arracher.

Nathalie, qui pensait au dur labeur de Cyrille, s'enquit :

- Pensez-vous que le temps est à l'herbe à chats ?

- C'est difficile de le dire si tôt. Il faut attendre le prochain wagon pour demander aux voyageurs s'ils amènent le beau temps avec eux. Or ce n'est pas la saison des touristes.

- Vous ne vous ennuyez pas trop ici ? demandai-je.

- Je n'ai guère le temps. Toujours un wagon à rattraper à droite et à gauche. Par ici ils sont très sauvages. Il va falloir que je vous laisse : j'en ai justement un à dresser.

Nous prîmes donc le chemin que nous avait indiqué le vieux bonhomme et nous n'eûmes pas à revenir le voir car Cyrille arrivait dans son autobus décapotable. Nous nous demandions comment il avait pu se l'offrir.

- Alors, les enfants, cria-t-il en sautant sur le marchepied, on fait le jour et la nuit ?

Nathalie avait l'air ennuyé. Cyrille continua :

- Puisque c'est comme ça, vous aller m'aider à la plantation. Aujourd'hui on exporte. Je me suis livré au calcul de la péréquation des prix du zorglub et le coefficient est en notre faveur. Ne perdons pas de temps. En voiture !

Le ciel se couvrait quand nous arrivâmes à l'hacienda. Un orage allait sans doute éclater et une certaine tension emplissait l'atmosphère. Les chats hurlaient à la mort en se mordant la queue, signe de grands malheurs pour les habitants de la région. Cyrille restait calme et sulfatait les mauvais augures.

L'herbe à chats semblait d'un bon rapport et Cyrille en exportait aux quatre coins du monde. A l'occasion il en envoyait une cargaison à la Croix rouge internationale pour ses bonnes œuvres.

Nous travaillâmes toute la journée à la confection de deux colis de cinq cents grammes. Cela rapporterait un paquet et nous permettrait sans doute de nous offrir un slip propre pour deux.

Ce n'est qu'à la fin de cette deuxième journée que nous pûmes aller nous coucher, la nuit étant tombée normalement. Au Mexique, on ne dort pas le jour sous peine de mort, contrairement à ce qu'affirme une légende injustement répandue.

Soudain, le sol se mit à trembler, le la bémol à siffler, et le vent se leva comme un seul homme. Les cactus ployaient et les rivières sortaient précipitamment de leur lit, surprises en flagrant délit d'adultère. Des milliers de litres d'eau se déversèrent sur la pampa, emportant tout, charriant des cadavres horriblement mutilés. De grands cris d'épouvante traversaient l'espace. Le temps lui-même s'était enfui. Cyrille luttait courageusement pour endiguer le flot et rattraper les horloges qui s'évadaient par les fenêtres. Tel le Hollandais Volant, un wagon apparaissait de temps à autre entre deux bourrasques. Nous reconnûmes le marmot en retraite et le curé de deux mois qui faisaient de grands gestes désespérés. Enfin, peut-être, nous allions pouvoir récupérer la camionnette et regagner Paris où personne ne nous attendait puisqu'en réalité nous n'en étions jamais parti.

Cyrille attela une dizaine de petits pois sauteurs à un vieux canoë-kayac et fouetta ses fidèles destriers qui démarrèrent sur les chapeaux de roue. Le vent tomba et on fit le bouche à bouche au wagon-lit - car c'était un wagon-lit - pour le réanimer et lui faire dégorger toute l'eau qu'il avait engloutie. La camionnette, le marmot et le curé étaient sains et saufs. Seul le colonel s'était perdu corps et biens, mais ce n'était pas grave puisqu'il ne pouvait plus servir.

J'entonnai solennellement la triple fugue en mi bémol majeur sur mon orgue à pistons symphoniques. Les petits pois se découvrirent et les cactus se mirent en procession au rythme des accords qui résonnaient dans la pampa. Nathalie se mit au volant et démarra en marche arrière, comme elle en avait l'habitude. Cyrille nous fit au-revoir et nous prîmes la première à gauche pour rejoindre la file de droite et l'itinéraire de délestage fléché en vert. Peut-être croiserions nous Christophe avant de tourner dans l'avenue de l'Opéra.

Tout était plus ou moins détrempé dans la camionnette. Cela nous tenait l'arrière-train au frais, ce qui n'était pas désagréable, avec la chaleur. Les souris étaient noyées, la cornemuse, les bombes à retardement et les mitrons à soupapes inutilisables. Nous dûmes donc nous résigner à jeter ce précieux bric-à-brac par les fenêtres. On fit même un concours à celui qui lancerait son mitron à soupapes le plus loin possible. Cela occasionna quelques accidents mortels et nous en fûmes bien peinés. Nathalie en avait les gudules coincées et je dus prendre le volant. Dans le feu de l'action, je le lançai aussi par la fenêtre, avec le reste.

- Dommage, commenta Nathalie, c'était un bon volant.

- Tant pis, répliquai-je, on en prendra un autre à l'occasion. En attendant, je vais jouer un morceau.

Et, à l'étonnement général, la camionnette repartit. Comme ca, Nathalie pouvait se reposer et moi prendre un itinéraire panoramique sur le thème de la panthère rose.

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C'est quelque part que nous rencontrâmes Christophe et Catherine, sa chère moitié. Ce sympathique couple posait toujours des problèmes aux restaurateurs du monde entier car ils ne pouvaient jamais demander un demi sans qu'on leur serve deux bières, ce qui ne servait à rien puisqu'un quart aurait suffit à chacun. C'est ainsi qu'en Egypte, quand ils rencontrèrent le Sphinx, celui-ci leur posa, comme il en avait coutume, une énigme.

- ô mortels, écoutez la complainte du fantôme de l'Opéra, écoutez la question que voici, et tâchez d'y répondre sinon gare à vos fesses.

Après cette brève exhortation, le Sphinx décacheta l'enveloppe dont un double était déposé chez Maître Verdâtre, huissier à Paris.

- Voici donc la question : Qui suis-je ?

- Ben, euh, c'est que ... répondirent Christophe et Catherine d'une seule voix.

- Bravo, je suis Benheucéqueue. C'est pas vrai, mais c'est écrit sur mon papier. Vous prenez une question à mille francs ?

Mais sans laisser le temps à ses interlocuteurs de lui répondre, le Sphinx se leva et partit faire sa promenade quotidienne sur les bords du Nil, où il se noya bêtement.

Christophe et Catherine étaient bien tristes d'avoir fait une victime, mais ils pensèrent qu'après tout, c'était un juste retour des choses.

- Mais qu'est-ce qui remue donc tant dans ton sac ? demanda Nathalie à Catherine.

- Oh, c'est un broute-minou que nous avons recueilli sur la Grande Muraille de Chine. Il n'est pas très joli, mais très affectueux.

Elle exhiba alors le curieux animal, tout ébloui par les sunlights allumés autour du podium qui avait pendant des siècles fait la fierté du sphinx assis. C'était un sucre d'orge géant qui, maintenant, agitait joyeusement la queue. Cela amusait beaucoup Christophe qui, à l'occasion, lui donnait une tape amicale dans le dos. Le broute-minou se montrait donc sociable, ce qui n'aurait pas manqué d'intéresser les spécialistes de la broute-minette, espèce beaucoup plus répandue dans nos pays occidentaux. Catherine replaça le délicat spécimen dans sa musette où, paraît-il, il grignotait son tube de rouge à lèvres.

Nous nous abandonnions aux délices du sable fin qui recouvrait l'immense étendue désertique où s'élevaient, pêle-mêle, des H.L.M. et des Z.U.P.. Cela rappelait un peu le parc Mapelle - c'est ainsi que Nathalie avait rebaptisé le parc Monceau – avec ses orchidées précieuses et sa foule de visiteurs cosmopolites.

Le temps passait et il allait falloir songer à regagner Paris où d'autres aventures ne nous attendaient pas, puisque nous ne les avions pas prévenues de notre retour. Nous saluâmes donc Christophe et Catherine qui repartirent droit devant eux, tels l'obélisque de Louxor un jour de quatorze juillet à cinq heures. Nous les regardâmes un instant s'éloigner dans notre direction puis, quand ils nous eurent croisés, nous repartîmes vers eux.

C'est ainsi que nous arrivâmes devant les grilles de l'Elysée où le garde des Sceaux qui passait par là nous introduisit et en profita pour nous faire admirer sa magnifique collection. Puisque nous étions là, nous allions en profiter pour régler les dernières formalités concernant notre voyage de noces.

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Le garde des Sceaux nous remit à chacun un billet qui devait nous permettre d'embarquer pour notre destination. L'heure et le lieu du rendez-vous étaient indiqués : quinze heures trente, Pont de l'Alma. Nous pouvions à peine contenir l'émotion qui nous étreignait à la seule pensée que, peut-être, le zouave allait faire partie du voyage.

Notre déception fut grande quand nous parvînmes au lieu du rendez-vous : le zouave n'était plus là, mais avait laissé un petit écriteau sur lequel il précisait, dans un style empesé et malhabile, qu'il avait été appelé au Caire pour remplacer le Sphinx.

Les quais étaient déserts et nous étions fort intrigués par la pancarte qui indiquait : Egouts de Paris. Le temps était lourd et gris et il semblait bien qu'une tempête allait se lever. Comme la Seine n'était pas encore en crue, nous nous décidâmes courageusement à descendre les quelques marches qui s'enfonçaient devant nous dans d’inquiétantes entrailles fluviales.

Les murs suintaient un liquide verdâtre et l'odeur n'était pas exactement celle que nous attendions d'un hall d’embarcation pour la lune, fut-elle de miel. Arrivés au bas de l'escalier, un curieux spectacle nous attendait. On se serait cru dans la crypte du château d'un ogre qui aurait négligé ses ablutions intimes depuis quelque temps. Une lueur pourpre flottait au dessus de canaux hétéroclites agités par un doux clapotis. Décidément, il n'y avait personne, et quand une lourde porte métallique se referma derrière nous dans un grincement sinistre, interdisant toute remontée, nos petites quenottes commencèrent à s'entrechoquer. Ce n'était pas tant le lieu qui inquiétait que la désagréable impression d'un Deus ex machina animant le décor et nous conduisant malgré nous vers un destin que nous n'avions pas choisi.

La force mystérieuse ne paraissait pas vraiment hostile, mais l'accueil n'était pas non plus franchement cordial. Après nous être un peu apaisés par la force des choses, nous nous décidâmes enfin à bouger et à chercher où l'on pouvait bien vouloir nous mener. Le sous-sol était la réplique exacte du monde de la surface et les boyaux portaient des plaques indiquant le nom des rues. Certains étaient larges comme des avenues, d'autres si étroits qu'un homme pouvait à peine s'y glisser. Mais tous étaient percés à leur base de trous régulièrement espacés desquels s'écoulait une fiente innommable dégageant une odeur pestilentielle de remugles fétides. La ville entière nous chiait sur la gueule. Ou alors l'ogre avait vraiment besoin de se faire soigner les intestins.

Rue de la Pompe, nous croisâmes un escadron de rats crevés qui voguaient ventre en l'air au fil de l'onde. L'eau commençait à atteindre un inquiétant niveau : là-haut, la tempête devait faire rage. Par bonheur, amarrée à une bitte de la place de l'Opéra, se trouvait une embarcation qui semblait abandonnée là depuis des siècles. Une barcasse glauque sur laquelle était portée une inscription à peine lisible : VIRDAMBA. Nom exotique pour un si piteux navire dont je ne devais connaître la signification que bien plus tard. Des chiffres à demi effacés attestaient que la yole était assurée à la Lloyd. A l'occasion, on leur dirait deux mots. Je ne savais pas alors que l'épave avait été placée là par un caprice du Temps, oubliée dans un de ses nombreux replis, comique index d'un futur en ébullition.

Nathalie était blême et à l'évidence ne se sentait pas bien du tout. Les clapotis s'étaient transformés en grondements sourds et quand un orchestre invisible nous eut asséné un bruyant accord de septième diminuée, nous fûmes certains qu'il allait se passer quelque chose. Les roulements de timbales dans les égouts sont du plus bel effet et l'illustrateur sonore connaissait apparemment bien son boulot.

Le VIRDAMBA était secoué en tous sens, et il n'y avait nul besoin de rames pour se déplacer. De toutes façons il n'y en avait plus depuis longtemps. On ne savait plus très bien si c'était nous qui foncions sur les flots déchaînés ou si un machiniste distrait avait lancé le décor à toute allure. Je me pris à ce moment, pour tromper mon angoisse, à penser au futur et à l'instant où j'écrirai ces lignes. Je pensai qu'à force d'écrire le passé je finirai bien par rejoindre le présent et, qu'en allant assez vite, je parviendrai sans doute à écrire l'avenir.

Mais on n'en était pas vraiment encore là et Nathalie, muette depuis un moment, comme inanimée, rapetissait à vue d’œil. Ses couleurs mêmes semblaient se fondre en une transparence laiteuse. Elle n'avait plus de formes distinctes et s'évanouissait doucement, petite chrysalide en fusion. Elle ne mesurait plus que quelques millimètres quand la barque s'immobilisa dans un silence pesant. Elle flottait calmement au beau milieu de l'avenue Foch. Au loin, place Dauphine, des dizaines de petites embarcations tournaient et virevoltaient, et tout un tas de monde tenait comme une gigantesque conversation dont je ne pouvais rien saisir à cette distance. Les passagers changeaient sans cesse de véhicule. Parfois l'un d'eux tombait à l'eau et ne reparaissait jamais. Tout cela faisait penser à un souk turc où s'échangeaient de bien mystérieuses denrées dans un invraisemblable troc. A un moment il me sembla même apercevoir Nathalie qui avait repris une forme humaine et conversait, nue, avec les gens de la place.

La petite lueur vacillante qui nous avait menés là disparut dans la voûte et tout fut assombri par de monstrueux cumulus chargés d'électricité qui pesaient sur les lieux comme un couvercle de fonte sur une marmite norvégienne. Alors elle apparut à l'horizon. Terrible, noire, titanesque. Une énorme sphère d'acier qui roulait dans le boyau, emportant tout sous elle, charriant des milliers de litres d'eau contre les parois. L'orchestre jouait l'introduction d' "Ainsi parlait Zarathoustra" et il ne manquait qu'un singe en train de jouer avec un tibia pour que l'on s'y croit.

Quand elle fut plus proche je vis qu'elle était en fait translucide et qu'à l'intérieur, elle entraînait dans sa rotation Cyrille, Grégoire, Christophe, Catherine, Noëmi, l'ausculteur, Richard Strauss, le gendarme à coulisse, et le sphinx de l'Opéra.

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Au moment où la sphère roula sur moi et ma coque de noix, je ne sentis qu'un doux zéphyr. Tout s'évanouit alentour, et moi avec. Quand j'ouvris un quinquet meurtri, je flottais au milieu de bouteilles de plastique au pied d'immenses falaises de craie. Le soleil était radieux et la mer calme. Les galets rôtissaient sur la rive attendant qu'un fantasme vienne y allonger une langoureuse femme nue. L'escalier qui m'avait conduit aux égouts était toujours là mais l'on eut dit qu'un courroux divin l'avait changé en pierre et invaginé pour l'éternité dans la falaise. Les mouettes criaient gogo et jouaient des courants aériens pour surgir de l'abîme sous le nez de paisibles mammifères qui paissaient là tranquillement.

C'est alors qu'Elle apparut en haut de l'escalier. Pas la sphère . Plus exactement, ce furent deux sphères que j'aperçus. Deux sphères de chair, bien galbées et fermes avec leurs tétons frémissants. Ces deux appendices apéritifs appartenaient à une divine créature qui se cachait derrière eux.

- Mes hommages vespéraux, Mademoiselle.

- Bonsoir cher Monsieur. Voulez-vous venir avec moi lire Les Amours de Ronsard ? Je me nomme Virginie.

J'appris de la délicieuse apparition que je me trouvais au Bois de Cise, petit-village-au-fond-de-la-vallée-comme-égaré-presque-ignoré, situé à miches-mains entre les charmants hameaux de Brûle-Pourpoint et de Crame-Houppelande. Il allait tout falloir recommencer. Virginie avait sûrement une famille.

En fait, Virginie avait deux familles. La première, classique, comprenait un papa-peyot tout rond avec de jolis mollets dont elle avait hérité, une maman-yayane que la persistance rétinienne ne permettait pas toujours de suivre dans tous ses mouvements, une soeurette arachnéenne flanquée d'un bibi numérique et un frangin keep-cool-qui-tape-la-puissance-dans-le-business.

Son autre famille pouvait déconcerter au premier abord (au deuxième rabord cela ne paraissait pas si invraisemblable). Niny, - j'avais rapidement condensé son virginal prénom - était toujours suivie à moins de cinq mètres par une cohorte de petits êtres couverts de poils comme des peluches et se dandinant grotesquement sur deux gros pieds à trois doigts. M'inquiétant de leur présence obstinée et virevoltante, j'appris qu'il s'agissait d'un troupeau de dodopodes. Les dodopodes ont la curieuse particularité de vous suivre partout en trottinant dans le seul but de vous assaillir et de se jeter sur vous en un gros tas, ce qui a pour immanquable effet de vous faire sombrer dans le plus doux des sommeils. Ce troupeau-là était né par autofécondation d'un dodopode avec qui papa-péyot avait jadis partagé son berceau.

Niny m'apprit que le VIRDAMBA avait été ainsi baptisé par tonton Michou, un oncle farceur qui passait le plus clair de son temps enfermé dans une cave obscure et insalubre à sculpter des statuettes incas. Le nom du paquebot avait été obtenu en assemblant les premières syllabes de chacun des prénoms des trois aînés des trois familles cousines : VIRginie, DAMien et Jean-BAptiste. Evidemment, le résultat était à la hauteur de la ligne de flottaison de l'embarcation, c'est à dire au ras des flots dans lesquels il menaçait sans cesse de virer. Le fait qu'il virait d' "en-bas" prophétisait sans doute le jour agité où la barcasse avait surgi des entrailles de la place de l'Opéra.

Zoubaï ! était le cri de guerre des dodopodes lors de leurs assauts narcotiques, amusante de contraction de l'exclamation "bisous-bye". Je l'entendis pour la première fois en voiture, alors que je ramenais Niny à Paris. Celle-ci se recroquevillait alors dans la boite à gants pour s'adonner à son activité favorite et réparatrice. Pendant ce temps, je sillonnais le périphérique en tous sens en proposant aux automobilistes pressés et nerveux de jouer à "rions un peu". Proche de la compétition d'auto-tamponneuses de foire, le jeu avait pour but de décourager ces conducteurs qui me les avaient gonflées plus que de raison. Notre débarquement à Paris fut donc plus remarqué que celui des américains lors de la dernière guerre, qui, en comparaison, apparaissait comme un gigantesque spot publicitaire pour les cigarettes et le chewing-gum.

Lors d'un dîner chez Merguez et Doudoune, deux vieux amis de Niny qui souffraient comme elle de dodopodite aigüe, j'appris de ma nouvelle compagne qu'elle était née sous le signe du capricorne. Je troquai donc l'arc et le carquois de Nathalie pour une grande biquette téméraire. Le ciel avait décidément de drôles de façons de me balancer sur la tronche tous ces objets hétéroclitoridiens que je ne savais plus où ranger. Comme Niny était venue au monde avec un peton tout fripé, sa maman-Yayane avait même prétendu que ce devait être son petit pied noir, papa-Peyot ayant dans sa jeunesse séjourné quelques temps du côté d'Oran. Maman-Yayane, en bon agent immobilier, avait d'ailleurs en cette occasion tenté de vendre à un nègre parabolique les douze maisons du zodiaque, mais les négociations avaient échouées car l'acheteur cherchait en fait quelque chose de moins snob.



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