LES PETITS HOMMES
Poèmes pour les enfants
Illustrations de Jean Duché
Editions Chateaubriand 1950
LES PETITS HOMMES
(En manière de
Préface)
Semblable à ces moineaux pépiant sur les
toits,
Une bande d'enfants, ce matin, rentre en classe.
Qu'ils aient six ou dix ans, ils content leurs exploits,
Et font les importants, secouant leurs tignasses.
Devant la grande porte, on ralentit le pas.
Dans un moutonnement de têtes et d'échines,
Le surveillant s'écrie : << Allons, pressons, là-bas
Il frappe dans ses mains, prêche la discipline :
<< Mettez-vous tous en rangs ! Silence, s'il vous plaît >>
Il ramasse au passage un traînard qui s'alarme
- Un nouveau qui se sent soudain seul, inquiet,
Et réclame sa mère en reniflant ses larmes. -
Car cest inquiétant, ces vastes bâtiments,
Et ces couloirs, ces escaliers interminables,
Que fait trembler, au lourd piétinement
Des galoches à clous, ce long troupeau de diables...
Toute salle de classe est peinte au chocolat
Et l'on y voit toujours une carte de France
Rose comme un bonbon, muette aussi, hélas !
Et ce tableau qui fait si peur quand on y pense !
Sur la pointe des pieds, il faudra se hausser
Pour atteindre les bords de ce ciel chargé
d'ombre
Où la craie en crissant fera bientôt grincer
Les dents des professeurs, la grammaire et les nombres !
- Silence ! Asseyez-vous ! Je vais faire
I'appel.
Le maitre de sa règle a frappé son pupitre.
Il fronce le sourciI, tel le Père Eternel.
On entend bourdonner les mouches sur les vitres.
Une voix, dans le fond, a répondu : << Présent ! >>
Une petite voix comique qui vacille.
Et I'on s'esclaffe, on pouffe, on se bourre les
flancs :
Déjà le blondinet est baptisé "la fille".
"Le boeuf gras", ce sera le gros du premier rang;
Cet autre, "l'endormi" : son voisin, "le satrape".
(On ne sait trop pourquoi !) De I'un à I'autre banc,
Les surnoms vont leur train et nul ne leur échappe.
- Ouvrez tous vos cahiers ! Dictée...
Etes-vous prêts ?
Titre : "Elle avait dix ans... " Plusieurs points, à la ligne !
Auteur : Victor Hugo... En marge, s'ii vous plaît !
Et ce nom-là, bien net, un trait qui le souligne !
Voilà... Premier devoir... Plus tard, Victor
Hugo,
Pour les uns, ce sera toute une enfance émue,
Pour d'autres, le remords de leur premier zéro,
Et pour d'autres encor, le nom de la grand'rue...
Tout à I'heure, il faudra s'occuper des Gaulois,
En attendant le jour de prendre la Bastille.
Pour I'instant, on se met de l'encre au bout des doigts,
Tout en croquant sournoisement une pastille.
Mais soudain, la dictée est restée en
chemin...
Le maître, indifférent au bruit des mandibules,
Songe au fond de sa barbe à son passé lointain
Et lève son lorgnon vers la vieille pendule.
Eh ! oui, c'est qu'il veut être indulgent, ce
matin...
Cette classe, après tout, ce n'est que la première.
Il faut qu'on s'habitue et qu'on se.mette en train
Les esprits feront donc l'école buissonnière...
Et les fronts inclinés au bord des cahiers
blancs
Ecoutent d'autres voix qui leur dictent des rêves :
"Moi, je serai marin... J'irai sur l'océan
Cueillir les archipels au soleil qui se lève... "
"Moi, je serai dompteur... " "Et moi, roi de l'écran !"
"Je serai général... " "Je veux être astronome..."
Ainsi, l'enfant déjà s'évade du présent,
Pose son porte-plume et, fier, se croit un homme...
LES FLOCONS
Quand les flocons
En tourbillons
Frappent à ma fenêtre
C'est qu'ils veulent peut-être
Se réchauffer un peu
Au coin du joli feu.
Entrez bien vite dans ma chambre,
Fuyez la bise de Décembre !
Cachez-vous au creux de ma main
Pour y dormir jusqu'à demain.
Nous n'entrerons pas dans ta chambre,
Nous, les papillons de Décembre.
Nous ne voulons ni feu, ni toit,
Ni la caresse de tes doigts,
Car toute chaleur est mortelle
A la blancheur de nos ailes !
LE BONHOMME DE
NEIGE
Les enfants du pays m'ont fait naître un beau
soir
Au milieu de leurs cabrioles.
Dans ma bouche sans dents, les passants ont pu voir
La pipe du maître d'école !
Un béret sur ma tête, posé de guingois,
Dandine son pompon de laine.
Mes yeux au noir regard sont des charbons de bois
Et mes mains de pauvres mitaines.
Puis, dans leur folle ronde, ils ont ri de mon
nez
Taillé dans une grosse pomme;
Mais, me voyant pleurer, ils ont dit, chagrinés :
« Il fond déjà, le vieux bonhomme ! »
LE PERE NOEL
Il est un vieil homme charmant...
C'est l'ami de tous les enfants.
Et quand vient la fin de l'année,
Il descend par les cheminées,
Le coeur joyeux sous le fardeau.
Qui fait une bosse à son dos.
Dans la neige et dans Ia tempête
Il porte à tous un peu de fête,
Et lorsqu'il arrive, la nuit,
II sait ne pas faire de bruit
Pour mettre dans la cheminée
Le beau cheval et la poupée.
Puis il remonte jusqu'au ciel
Dans un avion providentiel
Et va raconter aux nuages
Tous les rêves des enfants sages.
LE SAPIN DE NOËL
Le sapin scintillant est recouvert de givre...
C'est le soir de Noël.
Sur ses branches, je vois des jouets et des livres :
Tout paraît irréel.
Maman me tend les bras et Papa me soulève :
« Viens voir dans tes souliers ! »
C'est si beau que je crois faire un merveilleux rêve,
J'ai peur de m'éveiller !
Mais non ! tout est bien vrai ! Je tends ma
main qui n'ose
Vers l'arbre illuminé
Et je détache alors les petits paquets roses
D'argent tout ficelés.
« Oh ! le joli canif !... Oh ! ce train
électrique !...
Un petit cinéma !...
Et ce chien en peluche à la tendre mimique !...
Tout est vraiment pour moi ? »
Mes bras sont si chargés de jouets qu'ils en
tremblent !
Et moi, je ris très fort...
Papa sourit. Dans tes yeux, Maman, il me semble
Voir une larme d'or...
L'HIVER A PRIS LE
TRAIN
Un Monsieur prend le train
Dans la petite gare.
On débloque les freins,
Vite ! Qu'on se prépare !
Dans le train des saisons
Monsieur l'Hiver se glisse,
Sa barbe de glaçons
Au creux de sa pelisse.
De son bec nasillard
Le corbeau-chef de gare
A donné le départ :
« En voiture ! On démarre ! »
Un, deux, trois, un, deux, trois !
Derrière la machine
Qui toussotte de froid
Le petit train trottine.
Soudain, il s'enhardit,
Son rythme s'accélère,
Il s'essouffle, il bondit
A travers la nuit claire.
Monsieur l'Hiver s'endort,
Bercé par la cadence.
Il rêve qu'il est mort,
Mais se réveille en transes.
Dehors, il fait grand jour
Et le train entre en gare
Au son de cent tambours
Et de trente fanfares.
La barbe de travers
Sous son nez qui flamboie,
Ce bon Monsieur l'Hiver
Prend ses airs rabat-joie.
Car, là-bas, sur le quai,
D'un pas léger s'avance
Un jeune homme au teint frais,
Beau comme l'espérance.
Du soleil plein les yeux,
Fleur à la boutonnière,
Il porte un habit bleu
Tout brodé de lumière.
C'est Monsieur le Printemps
Tout le train est en fête.
Un vieil homme en descend,
Un jeune monte en tête !
On desserre les freins.
Dans la petite gare,
Le pinson plein d'entrain
Siffle : « Qu'on se prépare ! »
La machine en partant
Fait un vrai tintamarre,
Et Monsieur le Printemps
Vers l'horizon démarre.
L'HISTOIRE DE
FRANCE
La petite soeur
- Je veux bien jouer à Jeanne d'Arc.
Toi, tu seras le roi de France,
Avec un beau palais, un grand parc
Et des guerriers armés de lances;
Je veux bien que tu me coupes les cheveux
Avec les ciseaux de la bonne
Et que de mon collier bleu
Tu te fasses une couronne;
Je veux bien garder les moutons,
Et monter à cheval, équipée
De l'armure et des éperons,
Portant la bannière et l'épée;
Des Anglais et des Bourguignons
Je veux bien être prisonnière;
Je veux bien que l'évêque Cauchon
(Ce sera toi !) me condamne comme sorcière.
Et même qu'à la tour de Rouen
(C'est le grenier !) tu me mettes en cellule...
Mais...
Le petit frère
- Mais, ma soeur, si je te comprends,
Tu ne veux pas que je te brûle
Avec les allumettes de Papa.
Alors, ce n'est pas drôle, et je ne jouerai pas !
LE CHIEN DE BOIS
Le chien de bois articulé
Un soir dans l'ombre m'a parlé.
C'était un murmure à coeur fendre
Que je pouvais à peine entendre :
« Je t'aime bien, petit ami,
Mais, vrai, je me ronge d'ennui
Dans cette ville toute noire !
J'étouffe au fond de ton armoire,
Parmi tes seigneurs de satin,
Moi que tailla dans le sapin
Le pauvre artisan du village.
Tous se moquent de mon pelage,
Il ne se passe pas de jour
Qu'on ne me fasse un méchant tour !
L'un me met la queue en trompette,
L'autre me disloque la tête !
Du coup, j'ai perdu mes couleurs...
Si tu ne veux pas mon malheur,
Rends-moi le ciel qui m'a vu naître :
Rends-moi mes compagnons de hêtre,
De sapin, de frêne ou d'osier :
Ils ont un coeur, s'ils sont grossiers... »
Alors, pour qu'il n'ait plus de peine,
A la poste la plus prochaine,
J'ai déposé, bien emballé,
Mon chien de bois articulé...
LE PANTIN
J'ai cassé mon joli pantin...
Mon vieux compagnon si fidèle
Reste sans vie entre mes mains :
J'ai trop tiré sur la ficelle...
En agitant sans réfléchir
Le pantin paré comme un prince
J'ignorais que, sans un soupir,
Se briserait le fil trop mince.
Je l'aimais pourtant mon pantin !
Il savait si bien me comprendre
Et consoler tous mes chagrins
D'une étreinte de ses bras tendres !
Adieu ! caresses de satin
Et joyeux réveils en dentelles...
Si vous aimez votre pantin,
Tirez moins fort sur la ficelle...
PROMENADE EN
VOITURE
Vron ! Vron ! dit le moteur
De la belle voiture...
Toc-toc répond mon coeur
Devant sa fière allure.
Je me fais tout petit
A côté de mon père.
Vron ! nous voilà partis
Dans un flot de poussière.
Je regarde les veaux,
Les arbres qui défilent,
Le passage à niveau
Et le grand train qui file.
Je demande à Papa :
« L'aurai-je pour ma fête
La belle auto qui va,
Bondit et puis s'arrête ? »
Et Papa dit tout bas
« Je veux que tu le saches,
Tu l'auras quand viendra
Ta première moustache ! »
Vron ! Vron ! dit le moteur
De la belle voiture...
Toc-toc répond mon coeur
Qui bat à vive allure...
LA RONDE DES
JOUJOUX
Il est minuit... Polichinelle
Lance un clin d'oeil à l'Arlequin.
Il est minuit, la vie est belle
Pour les poupons et les pantins.
Car, maintenant, plus de misères !
Leurs tyrans se sont endormis
Après avoir fait leur prière,
Sagement, au pied de leur lit.
Tandis que les bébés sommeillent
Les joujoux font ce qui leur plaît.
Le lapin qui n'a plus d'oreilles
Dit ses malheurs au perroquet.
L'ours en peluche, avec sa patte,
Bat la mesure à contre-temps,
Et sur son socle l'automate
En grinçant danse lentement.
La quille joue à cache-cache
Avec la boule qui bondit,
Le chat se lisse les moustaches
Près de l'oiseau de paradis.
Il est minuit... Polichinelle
Lance un clin d'oeil à l'Arlequin.
Il est minuit... La vie est belle
Pour les poupons et les pantins.
LE CIRQUE
Roulements de tambour,
C'est aujourd'hui la fête !
Tentures de velours,
Le grand cirque s'apprête...
Auprès du chien savant,
Le clown multicolore
Fait rire les enfants
D'un large éclat sonore.
L'éléphant lève aux cieux
Sa trompe craquelée,
Et l'ours malicieux
Tend ses pattes pelées.
Le grand tigre rugit,
La panthère s'élance
Dans le cerceau rougi
Que le dompteur balance.
Roulements de tambour,
C'est aujourd'hui la fête !
Tentures de velours,
Le grand cirque s'apprête...
BULLES
Ce n'est d'abord qu'un peu de mousse
Qui perle au bout d'un chalumeau.
Je fais mon haleine très douce
Pour souffler dans le long tuyau.
Et voici qu'apparaît la bulle...
Suspendue entre terre et ciel,
C'est une fragile cellule,
Tremblante au bord de l'irréel.
Je souffle encore, avec prudence.
Déjà c'est un léger ballon
Qui s'enivre de transparence,
Couleur d'ailes de papillon.
Je sens mon coeur battre plus vite
En la voyant s'enfler, grandir,
Dépasser toutes les limites,
Et je rêve à son avenir.
Ma lèvre déjà la façonne
En une boule aux reflets d'or
Qui dans sa magie emprisonne
Toutes les formes du décor.
Sous mon haleine, avec ivresse,
Se distendent les flancs vermeils
Du globe qui grandit sans cesse
A faire pâlir le soleil !
C'est une sphère... Elle étincelle,
Se gorge de lumière et d'air.
Déjà, j'y suspends la nacelle
Qui m'emportera vers l'éther...
Je gonfle encore un peu la joue,
A peine, juste ce qu'il faut
Pour qu'enfin le miracle joue.
Comme nous allons monter haut !
C'est tout un monde qui scintille
Au bout de mes doigts anxieux.
Mais ce monde soudain vacille
Puis expire au fond de mes yeux.
Et le rêve qui m'éclabousse
De sa fine poussière d'eau
N'est plus qu'un petit peu de mousse
Qui perle aubout d'un long tuyau...
BAL COSTUME
Le bal masqué commence...
Les dames de satin
Vont entrer dans la danse
Auprès des Arlequins.
Pierrots et Colombines,
Bergères et hussards,
Marquis et ballerines
S'inclinent avec art.
La bergère est morose...
Son regard cherche en vain
Un prince en habit rose
Pour lui donner la main.
La marquise tourmente
Un éventail nacré.
Son pied s'impatiente,
Car le Roi vient d'entrer.
Tout seul, Polichinelle
Rêve d'avoir un jour
Un rabat de dentelle
Sur pourpoint de velours.
Mais le marchand de sable
Sur la pointe des pieds
Dans les yeux adorables
Vide son sablier.
Malgré leur haute taille
Et leurs éperons d'or
Les Mousquetaires baîllent.
Don Quichotte s'endort...
La pendule argentine
Vient de fermer le bal,
Et sans bruit se termine
La nuit de Carnaval...
L'ABEILLE ET LE
PAPILLON
Le papillon blanc et l'abeille d'or
S'étaient retrouvés dans le frais décor
D'un jardin fleuri de vastes parterres
Qui semblaient jouer dans la lumière.
Le papillon blanc allait çà et là,
Se grisant d'air pur et d'insouciance,
Effleurant la rose et le frais lilas,
Dans un vol aussi léger qu'une danse.
Mais l'abeille d'or butinait les fleurs
Pour faire le miel aux mille couleurs.
Elle travaillait dans le beau jardin,
Sans souci du ciel et du doux matin.
Quand l'hiver survint, le papillon blanc
S'en alla mourir sur l'arbre tremblant
Que le vent glaçait et couvrait de givre.
Il mourut de faim, n'ayant pas su vivre.
Mais l'abeille d'or, malgré les frimas,
Restait dans la ruche et ne mourait pas.
Car dans sa maison, malgré le désastre,
Le miel blond et pur brillait comme un astre.
LE PETIT CHAT ET LA
MOUCHE
(Un petit peu à la manière
de...)
Le petit chat ronronne
Et de sa patte fait
Le lavage parfait
De sa noble personne.
Puis, les moustaches lisses
Il va, près du fourneau,
Boire le lait tout chaud
Où la crème se plisse.
Et c'est dans le silence
Un clapotis léger...
Quand soudain vers son nez
Une mouche s'élance !
Le chaton se ramasse.
Il s'apprête à sauter
Car l'insecte effronté
S'est posé sur sa tasse.
Mais la mouche s'envole
Et Minet, déconfit,
Levant son nez blanchi,
Du regard suit la folle...
La mouche tourne, tourne...
Le petit chat se dit
Que son lait refroidit,
Et vite il y retourne.
Bientôt, dans sa corbeille,
Rêvant au moucheron,
Au son d'un doux ronron,
Le petit chat sommeille.
« Somme toute, il est bon
Qu'un chat soit sans cervelle »,
Raille la péronnelle
En trottant au plafond.
Elle esquisse une danse
Pour fêter ce beau jour;
Mais, en faisant ses tours,
Quelle n'est sa malchance !
Elle va bourdonner
Près du papier qui tue,
Si bien qu'elle s'englue
Des pattes jusqu'au nez !
Ainsi les imprudents périssent
Qui, trop vite, se réjouissent :
A peine d'un malheur sortis
Qu'ils sont, par un plus grand, occis.
SOIR DE PRINTEMPS
L'arbre balance au vent ses branches
délivrées
Et l'oiseau lance au ciel ses tirelis joyeux.
L'hiver s'est dépouillé de sa robe givrée,
Et le printemps a mis son bel habit soyeux.
Partout, ce n'est qu'ivresse, et l'hirondelle
brune
S'élance vers l'azur sur les rayons poudreux.
Ce soir, les rossignols chanteront à la lune
Et les petits lapins s'en iront deux par deux.
Les vers luisants tendront leurs lampions de
fête
A l'orchestre des bois et, de son arbre creux,
Le hibou solitaire, en inclinant la tête,
Murmurera tout bas : « Mes frères sont heureux ! »
LA BICHE
Le nez humide de rosée
La biche timide et lassée
Va dans les bois avec son faon
Qui la suit en cabriolant.
Frémissants dans le clair de lune,
Ils hument l'air de la nuit brune.
L'oeil aux aguets, ils vont sans bruit :
La biche court, le faon la suit.
Puis, fatigués de leurs prouesses,
Frileusement, tous deux se pressent
Et la biche aux profonds yeux d'or
Regarde son faon qui s'endort...
CLAIR DE LUNE
Le clair de lune vient danser
Sur la clairière
Et les lapins gris sont posés
Sur leur derrière.
C'est l'heure où tous les animaux
Se réunissent.
Ils échangent tout bas des mots
Pleins de malice.
L'écureuil joue... à chat perché
De branche en branche.
L'oisillon, dans son nid caché,
Vers lui se penche.
Le rossignol chante minuit
De sa voix pure,
Et l'on n'entend plus un seul bruit
Dans la nature.
C'est l'heure où la brise frémit
Dans la nuit brune;
Le vieux sapin s'est endormi
Au clair de lune...
LES OISEAUX DES
ILES
J'ai deux oiseaux en cage...
Un artiste divin
A peint sur leur plumage
De merveilleux dessins.
Le vert de sa palette
Est celui des roseaux :
Il en coiffa la tête
De mes petits oiseaux.
Un collier d'or scintille
Sous quelques reflets bleus
Pris au ciel des Antilles
Où sont nés leurs aïeux.
J'ai deux oiseaux en cage
Que je viens regarder
Comme un livre d'images,
Sans oser y toucher...
Car de les voir déteindre
Sur mes doigts, j'ai grand peur...
Je n'ai, pour les repeindre,
Qu'un crayon de couleur !
LES ECUREUILS DU
BOIS DES ANGES
Les écureuils du Bois des Anges
Ce soir ont donné rendez-vous
Aux rossignols et aux mésanges
Sous l'oeil étonné du hibou.
Leur épaisse fourrure est rousse,
Leurs yeux noirs, ronds comme des «o».
Le plus âgé s'approche et tousse
Afin de pouvoir parier haut.
«Demain, notre petite Reine
Epousera, loin de nos bois,
Au pays de la Marjolaine,
Le plus riche de tous les rois.
L'araignée a tissé la traîne
De sa robe couleur du temps...
Et le tronc creusé d'un vieux chêne
Abritera tous ses enfants.
Les vers luisants feront escorte
A son carrosse étincelant
Que tirera jusqu'à sa porte
Le plus gros de nos lapins blancs.
Vous, gais amis des vertes cîmes,
Vous chanterez : mi, sol, ré, fa,
Pour bercer d'un coeur unanime
La douce Reine qui s'en va... »
Les oiseaux hochèrent la tête
En signe d'acquiescement.
Et le lendemain, pour la fête,
Ils chantèrent divinement.
L'enchantement fut sans mélange...
Et la petite Reine dit
Aux écureuils du Bois des Anges
« Je crois quitter le paradis » ...
MONSIEUR SOLEIL
Monsieur Soleil a décidé
Un beau matin de s'en aller
Faire un voyage.
Il prit sa valise et partit
Doucement, sans faire de bruit,
Sur un nuage.
Le nuage courait, courait,
Et Monsieur Soleil regardait
Le paysage.
Il s'aperçut que son départ
Avait fait naître sans retard
De gros orages.
La pluie inondait les moissons
Et noyait les petits poissons
De la rivière.
Le monde entier se lamentait :
« Monsieur Soleil nous a quittés !
Qu'allons-nous faire ? »
Plus vite qu'il n'était venu,
Le gros nuage disparut
Dans la lumière.
Et Monsieur Soleil, radieux,
Illumina du haut des cieux
Toute la terre.
LE PETIT PAUVRE
Le petit pauvre est là, grelottant sous
l'averse...
La veste de coutil que ses bras maigres percent
Colle à ses os et se constelle de glaçons...
Nul ne s'arrête pour écouter sa chanson.
Une main grande ouverte et l'autre dans sa
poche,
Il se blottit plus fort dans le recoin du porche
Ramenant sur son corps son haillon rapiécé
Dans un geste qui dit au vent d'hiver : « Assez ! »
Vers moi le petit pauvre a tendu sa main vide.
Des larmes ruisselaient sur son masque livide...
Alors j'ai pris le bras du petit malheureux
Et nous sommes partis, bien serrés, tous les deux...
LE PETIT TRAIN
Le petit train ventru roule par la campagne
Balayant l'horizon de son panache bleu;
Il joue au mousquetaire et au tranche-montagnes
Parce qu'il est tout noir et crache un peu de feu !
Dans la nature il ne fait plus peur à
personne,
Pas même à Dame Vache avec son nouveau-né,
Car lorsqu'elle l'entend là-bas qui s'époumone
Elle ne daigne, plus vers lui lever le nez.
Dans le champ parfumé de menthe et de verveine
Madame la Fourmi qui rentre sa moisson
En le voyant venir hausse les deux antennes,
Critique les tunnels et se rit du fourgon.
Tous les oiseaux du bois, sur le mode ironique,
Imitent le sifflet qui s'égosille en vain,
Et raillent la lenteur du serpent mécanique
Qui se traîne en soufflant le long des clairs chemins.
Et, du haut du talus, la chèvre qui rumine,
Un brin d'herbe au museau, se moque des chevaux
Qui, bêtes comme l'homme esclave des machines,
Attendent qu'on leur ouvre un passage à niveau.
LES ETOILES
Quand le soir descend sur la terre,
Les anges aux cheveux de miel
Viennent en grand mystère
S'accouder au balcon du ciel.
Du haut de leur tour de silence,
Ils ouvrent doucement les plis
De leurs ailes immenses
Sur tous les enfants endormis.
Et pour illuminer ces têtes,
Ils suspendent au toit des cieux,
En guirlandes de fête,
Tous les lampions du Bon Dieu...
LE MARCHAND DE
SABLE
C'est l'heure où les petits enfants
Sentent s'alourdir leurs paupières...
Ils vont dans leur lit rose et blanc
Sommeiller la nuit tout entière.
C'est l'heure où se glisse sans bruit
Sous la lampe, autour de la table,
Un personnage au manteau gris
Qu'on nomme le marchand de sable.
Il visite chaque foyer
Et, de sa main qui se soulève,
Il sème dans les yeux lassés
Un peu de sommeil et de rêve...
PROBLEME
D'ARITHMETIQUE
« Sachant qu'un terrain
A cent mètres de long et quarante de large... »
Ce terrain, j'en connais le chemin.
Je le dessine dans la marge.
Ce n'est pas très loin des remparts.
On gravit un sentier bordé de haies,
Plein d'oiseaux et de lézards.
On y cueille des mûres et des baies,
Toutes chaudes encore de soleil.
Et quand on est sur la falaise
La mer étend son tapis vermeil
Jusqu'au petit bois de mélèzes
Qui veille sur l'horizon.
Le terrain n'est que ronces et broussailles,
Mais j'y veux bâtir ma maison
En bonne pierre de taille.
Ma maison aura des murs tout blancs,
Une tour d'où l'on embrasse
Le monde et tous ses continents
Et puis une vaste terrasse,
Où j'irai me cacher la nuit,
Pour regarder monter la première étoile,
Dans le ciel, à l'heure où fuit,
La dernière voile.
« Sachant qu'un terrain... »
Vous savez aussi pourquoi le l'aime
Ce merveilleux problème
Que je résoudrai demain...
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