A
CAPPELLA
avec une lithographie
originale
de Yves BRAYER
Editions du Centre 1968
A CAPPELLA
Pas un archet, pas une lyre
N'ira chanter dans les lilas.
Le rythme des mots doit suffire
A cappella.
La chanson des vers éclabousse
Mon coeur en rimes de gala.
La lune pleure en robe rousse
A cappella.
Dans le silence une onde passe
Sonnant la naissance ou le glas.
Le clocher vibre dans l'espace
A cappella.
Le fauve rêve, l'oiseau glisse
Au-devant de l'horizon plat.
Les rossignols entrent en lice
A cappella.
Une forêt chante en mon âme
Un air tantôt gai, tantôt las;
Et mes amours montent la gamme
A cappella.
ORPHÉE
Une voix dit tout bas: " Ne fais pas comme Orphée !
Ta route est devant toi, ne te retourne pas;
Tu perdrais en chemin ta baguette de fée !
Dans les pas du Passé ne remets plus tes pas".
Serait-ce pour cela que j'ai brisé ma lyre ?
J'ai trop souvent relu les pages d'autrefois
Et, les sachant par coeur, ai-je oublié le pire
Pour vivre d'un meilleur qui n'existait qu'en moi ?
Aux blancs fossés d'hier fleurissent mes blessures
Et leur ombre envahit ma route d'aujourd'hui,
Faut-il déraciner les fleurs et la verdure
Pour chasser leur parfum et renier leurs fruits ?
Doit-on crever les yeux qu'éblouit la lumière,
Pour qu'il se taise enfin, tuer le rossignol ?
Faut-il cesser d'aimer pour être tout entière
Libre comme l'oiseau lors de son premier vol ?
Sans hésiter alors, je ferai comme Orphée.
Je me retournerai vers mon passé qui bat;
Je le regarderai dans ma main réchauffée
Mais si j'en dois mourir, je ne le saurai pas...
SILENCE
Pendant des ans mon coeur s'est tu.
Excès de vice ou de vertu ?
L'oiseau m'a fait "Turlututu !
Ne me dis plus vous, dis-moi tu".
Devant ma plume qui s'indigne
Je vois se confondre les lignes.
Au lac du Temps je tends ma ligne
Qui flotte, railleuse et maligne.
Tous les mots que je n'ai pas dits,
Foi d'enfer ou de paradis,
Ces mots absents que j'ai maudits
Valaient-ils un maravédis ?
Ils sont peut-être erreur insigne
Et glissent comme de longs cygnes
Indifférents à tous mes signes.
Ces mots, faut-il que je les signe ?
SI TU VOULAIS
Si tu voulais un jour oublier tes voyages,
Tes rêves d'autrefois, ta vie en d'autres lieux,
Si tu voulais ouvrir ton âme à d'autres cieux
Et refermer tes cils sur d'autres paysages,
Tu saurais avec moi, dans l'eau de mes cheveux,
Découvrir le parfum des extases charnelles
Et la forêt en feu dans l'or de mes prunelles.
Tu saurais que l'amour se fait avec les yeux.
Je t'apprendrais les fleurs, les oiseaux et l'eau vive.
Je chanterais pour toi les poètes, les fous.
Et tu t'endormirais au nid de mes genoux
Libéré de toi-même et me tenant captive.
Si tu voulais un jour repartir avec moi
Sur la route éclatante où ne pleure aucun saule,
Je poserais mon front au creux de ton épaule
Et je pourrais aimer pour la première fois.
LA GALÈRE
Ton amour mène sa galère
Sur les flots de mon coeur fermé.
Jamais tu n'atteindras la terre,
Déjà ton bras est condamné.
Tu rameras jusqu'à l'extase
Et, quand viendra l'épuisement,
La vague engloutira la phrase
Que tu guettais, mon pauvre amant!
Je suis la figure de proue
Que poursuit le marin hanté.
Entre le supplice et la roue,
Je suis ton impossible été.
Jamais tu n'atteindras la terre,
Sans appel je t'ai condamné.
Ton amour mène sa galère
Sur les flots de mon coeur fermé.
AU POÈME MORT-NÉ
Poème, tu me fuis, tu glisses, tu t'envoles!
Je croyais te saisir au piège du papier
Mais ta voix dit: "Va donc cueillir le groseillier !"
Et ton rire me suit en me traitant de folle.
Poème, tu trahis ton rôle et mon espoir.
Je te sais embusqué dans mes taillis de ronces.
Guettant mon désespoir, tu veux que je renonce;
Ton souffle m'abandonne et ce soir n'est qu'un soir.
Il va falloir, sans toi, que, seule, je me couche.
Ma plume restera, triste, dans l'encrier;
Mais je me vengerai car, pour ne pas crier,
Dans l'encre des baisers je vais tremper ma bouche !
PARDON
Pour t'avoir, malgré toi, réappris à sourire,
Pour avoir réveillé ton âme à l'abandon,
Pour les tendres élans que je n'ai pas su lire,
Je demande pardon.
Pour t'avoir révélé la source de mon rire,
De mes neiges d'espoir les plus riches flocons,
Pour tous les mots d'amour que je n'ai pas su dire,
Je demande pardon,
Pour n'avoir pas conduit jusqu'au port le navire,
Pour avoir fui sans toi vers d'autres horizons,
Pour ce dernier accord égrené sur ma lyre,
Je demande pardon.
Pour t'avoir apporté le meilleur et le pire
Et pour t'avoir ravi le plus pur de mes dons,
Pour tous les souvenirs que ton amour respire,
Je demande pardon.
L'ENFER EN EST PAVÉ
L'enfer en est pavé,
De ces pauvres sourires
Et des mots étouffés
Qu'on n'a pas osé dire.
L'enfer en est pavé,
De ces gestes d'offrande
Qui vont, inachevés,
Entrer dans la légende.
Tous les rêves légers
D'amour et de fortune...
S'en iront voltiger
Sur les rayons de lune...
L'enfer en est pavé !
ARC-EN-CIEL
L'arc-en-ciel de mon ciel - sourire après le deuil,
Miracle des cieux gris enrubannés d'aurore
Enjambe mon passé de son vol d'écureuil
Et s'effiloche au vent de mes bleus sycomores.
Ma vie est l'arc-en-ciel que j'escaladerais
Si je pouvais trouver le chemin qui l'abrite.
Où caches-tu ton arche et tes piliers secrets ?
Dans quelle eau fabuleuse accomplis-tu le rite ?
Fanal multicolore écartelé d'azur,
Tu franchis d'un seul bond l'écume des nuages
Et ton lasso pastel surgit du ciel obscur
En quête d'horizon et de chevaux sauvages.
La liberté fulgure au coeur noir de l'exil
Et le chant des oiseaux succède au cri des armes.
Lorsque j'ai trop pleuré, je vois entre mes cils
Un petit arc-en-ciel qui s'accroche à mes larmes !
L'ÉTANG DU ROI
Il y a dans l'étang du Roi
Des roseaux qui penchent la tête.
Voilà, voilà pourquoi l'on croit
Qu'ils n'iront jamais à la fête !
Il y a dans l'étang du Roi
Des crapauds qui croquent des mouches.
Voilà, voilà pourquoi l'on croit
Qu'ils ont une si grande bouche !
Il y a dans l'étang du Roi
Des fleurs d'azur pleines de sève.
Voilà, voilà pourquoi l'on croit
Que dans l'étang poussent des rêves !
INTERROGATION
Elle est assise et me regarde
Entre ses paupières que farde
Un rayon de soleil naissant;
Et dans son regard angoissant,
Nuancé d'ombre et de lumière,
Je crois surprendre une prière.
Que disent-ils ces yeux dorés
Largement faits pour adorer ?
Je scrute leurs grottes avides,
Prise au vertige de leur vide,
Et j'y vois sans fin tournoyer
Des pointes d'azur par milliers,
Devant l'insoluble problème
Que me posent les yeux que j'aime
Je reste au bord de leur secret,
Impuissante à le pénétrer,
Alors, sous le poids du message
Les grands yeux d'or ferment leur page
Et me retirent, sans pitié
Le secours de leur amitié.
Elle est assise, très lointaine,
Et ramasse avec soin sa traîne
Autour de son corps de velours,
La Chatte aux yeux couleur d'amour.
L'EPERVIER
J'avais dit: " Jamais plus je ne me donnerai.
Jamais je ne serai celle que l'on enchaîne,
L'herbe folle inclinée au pied du plus haut chêne,
La blessure creusée à l'ombre des cyprès ".
Je me voulais légère et seule pour atteindre
Les sommets du repos et le calme des nuits.
Je voulais être fleur tombée avant le fruit;
Je pensais être forte et n'avoir rien à craindre.
Mais mon âme et mon corps brûlaient de souvenirs.
Ma peau se déchirait sous leurs griffes lucides
Et lorsque je pensais toucher le bord du vide
Sur ma tête virait l'épervier du désir.
ÉTREINTE
Dans tes rudes mains d'homme, il passe quelquefois
D'insolites douceurs et de rares tendresses.
Et l'amour que tu fais t'apporte, malgré toi,
L'oubli de ta détresse.
Je suis pour toi l'autel de ton recueillement,
Le temple lumineux où, seul, ton désir entre
Pour noyer de plaisir sous ton enlacement
Le lac blanc de mon ventre.
DONNE TA MAIN
L'ombre a passé sur le chemin.
Les oiseaux morts n'ont pas besoin
Qu'on leur creuse un trou dans la terre.
Donne ta main, la route est claire.
La route est là, donne ta main.
L'ombre a passé sur le chemin.
Le tournant masquera les arbres
Qui veillent sur les croix de marbre.
L'arbre de vie a remplacé
L'arbre de mort de ton passé.
Il a des bras riches de sève,
Il est peuplé d'oiseaux de rêve.
Si notre amour est interdit,
L'enfer sera mon paradis.
Prends ma main au creux de la tienne :
L'amour vient quand il faut qu'il vienne !
VISAGE
Je ne voyais de toi qu'un visage livide
Emergeant de cheveux pareils à des serpents.
Je plongeais avec toi dans ce lent suicide
Et courtisais la mort sur ton corps éclatant.
Je tenais dans mes mains ta tête prisonnière
Où l'ombre se jouait de tes cils.vernissés.
Une étoile y tombait en caillou de lumière
Et la chambre tournait dans tes yeux renversés.
LE CHAT PERSAN
Elle a les yeux couleur du temps
Comme la robe de Peau d'Ane.
Elle a des yeux de chat persan
Et pour ces yeux-là tu te damnes !
Elle a les yeux de ton désir,
Des yeux profonds cernés de mauve.
Ne crains-tu pas de t'engloutir
Dans le marais de ses yeux fauves ?
Elle a des yeux qui disent oui
Quand disent non ses lèvres pâles.
Qui ment le mieux ? L'oeil ébloui
Ou la bouche couleur d'opale ?
Ne réponds pas, tu n'en sais rien !
Crois au bonheur qu'elle te verse.
La Femme ment toujours très bien
Avec des yeux de chat de Perse !
Elle a des yeux couleur du temps
Comme la robe de Peau d'Ane.
Elle a des yeux de chat persan
Qui valent bien que tu te damnes!
LUCIDITÉ
O Dieu ! délivrez-moi de ma lucidité !
Donnez-moi le regard de l'enfant qui s'étonne!
Otez la pourriture aux feuilles de l'automne,
Retenez le printemps et rendez-moi l'été.
Ne laissez pas mes mains se fermer sur le vide
Et faites que les yeux qui s'accrochent aux miens
Embrument leur mensonge et ne m'apportent rien
Que leur sérénité dans un faisceau de rides !
Donnez à mon amour la calme cécité...
Le jour blesse mon coeur et la lumière vive
M'empêche d'aborder aux douceurs de la rive.
O Dieu! Délivrez-moi de ma lucidité!
TOUTANKHAMON
L'enfant Toutankhamon n'est pas mort. Il jaillit
Caparaçonné d'or dans sa beauté parfaite.
L'épervier de son front, le serpent de sa tête
Gardent ses yeux rêveurs de lapis lazzuli.
On l'a trouvé tout seul dans sa prison de sable,
L'adolescent royal figé dans son repos
Et l'or des sables joue avec l'or du tombeau
Sur l'étrange chaleur du masque impérissable.
La femme devant lui sent frémir un enfant,
Voudrait le consoler de sa trop longue attente
Et tirer du sommeil par un baiser d'amante
Ce petit Pharaon mort depuis trois mille ans !
RÊVERIE
La lune avait, ce soir, un air de funambule
Avec sa pâle ombrelle ouverte ou coeur des nuits.
Et je songeais à vous, mes souvenirs enfuis,
Lointains et majuscules.
La lune avait, ce soir, un air démesuré.
On aurait dit un cirque avec sa piste claire
Où tournait un halo de chair crépusculaire
Sous un ciel torturé.
La lune avait, ce soir, la couleur de votre ombre
- Un peu de sable et d'eau sur la grève du temps -
La voix que je croyais morte depuis longtemps
Chantait sur les décombres.
LE TAUREAU
Les condamnés à mort meurent au petit jour.
Celui-là cependant connaîtra l'agonie
À l'heure où le soleil au chemin du retour
Rassure les troupeaux de l'âpre Andalousie.
Après l'ombre des nuits, l'aveuglante clarté
Le poignarde déjà de sa lame brûlante.
Il est là, bien vivant, sur ses pattes planté,
Humant avec effroi l'odeur de notre attente.
Il est de sang luisant tout caparaçonné.
Sa mort a commencé dès le seuil de l'arène
Et c'est un mort vivant pour qui l'heure a sonné
Qui combat sans comprendre et dénué de haine.
Dialogue inégal entre l'homme-bourreau
Et le monstre blessé qui frissonne et qui beugle.
Désespoir qui palpite aux cornes du taureau
Parmi la foule vaine et les chevaux aveugles!
Supplice calculé, danse au profil de mort,
Triste héros d'airain que nul tourment n'épargne,
Tu vas mourir debout, une épée en plein corps...
Pitié, pitié mon Dieu pour les taureaux d'Espagne !
Qu'il est lent de mourir face au soleil qui meurt
Et plante ses poignards dans l'eau grise des sources
Le taureau s'agenouille au milieu des clameurs
Le soleil et le fauve ont terminé leur course !
A MON FILS
Je t'attendais, mon fils, au premier rendez-vous
De ma chair douloureuse et de ton cri d'aurore.
Je t'attendais au bord des rêves les plus doux
Et je t'aimais déjà sans te connaître encore.
Dans la nuit de mon coeur où tu te réchauffais,
Je ne pouvais savoir que si petit, si frêle,
Tu ferais naître en moi les fastes d'un palais
Ruisselant de lumière et peuplé de bruits d'ailes.
Tu m'es venu, mon fils, en ce mois enchanté
Où les miracles font la ronde avec les Mages
Et dans ton berceau bleu j'ai longtemps regardé
Ce petit peu de moi qui dort sur ton visage.
PREMIER GESTE
Tu soulèves ta main pour attraper ma bouche
Et tes doigts transparents esquissent un ballet
Où tournent la lumière et de blancs feux follets
Sans rythme essentiel ni mouvement farouche.
Tes doigts de matin clair s'ouvrent comme des fleurs
Et se font orchidée ou chrysanthème blême.
Ton premier geste naïf comme un premier poème,
Imparfait, maladroit, mais frais comme des pleurs.
Ce poème d'amour, je suis seule à le lire
Au-dessus du berceau capitonné d'azur.
Et, tandis que je rêve à des lendemains purs,
Ta douce main d'enfant joue avec mon sourire.
AXEL
Est-ce l'amour du beau Fersen
Ou bien celui de San Michele
Qui me fit appeler Axel
L'enfant des rives de la Seine?
Est-ce le même phénomène
Qui me pousse à choquer ces vers
Parmi l'étrange courant d'air
De la rime que je malmène ?
Serait-ce l'amour qui m'enrhume
Et me fait l'oeil aussi brillant?
O mon petit garçon si grand
Pour toi je sens que je m'embrume!
Tu m'appelles "ton ciel", "ta neige"...
Et ce poète de cinq ans
Qui sème ses premières dents
Est le fruit de mon sortilège !
CINQ MOIS
Bonhomme, il faut que je te dise
Ce soir mille et mille bêtises.
Tu n'as aujourd'hui que cinq mois.
C'est peu pour toi, beaucoup pour moi
Car tant de fleurs se sont écloses
Depuis ta naissance, ma rose!
Tu m'as appris à regarder
Au coin de ta bouche l'été
Avec ses fruits et ses cascades
Et sa malice en embuscade!
J'ai découvert la volupté
D'un petit corps abandonné
A mes lèvres inépuisables,
Mon ravissant château de sable !
Tu m'as appris tes yeux de miel,
Ces perles d'eau sous l'arc-en-ciel
De tes sourcils en forme d'ailes,
Ton rire léger d'hirondelle.
Et je te regarde dormir
Bercé par tous mes souvenirs.
Bonhomme, il passe dans la brise
Ce soir mille et mille bêtises...
NOËL SANS TOI
Noël sans toi n'est plus Noël !
La foule marche dans la rue
Le coeur chargé d'un peu de ciel
Et moi j'ai l'âme toute nue.
Chaque fois que tu pars, j'ai mal.
J'ai mal à cet amour sans ride
Qui m'éclaire de son fanal.
Pour moi, ce soir, la crèche est vide.
La joie éclate au fond des yeux
Des gens comme un feu d'artifice.
Le monde entier a l'air heureux,
Mon coeur bat sous la cicatrice.
Qu'importent la neige et le gel!
L'absence s'installe, perfide.
Noël sans toi n'est plus Noël,
Pour moi, ce soir, la crèche est vide...
MAMAN
Maman, le premier mot et le dernier sans doute;
Maman, ce faisceau blanc posé sur notre route
Pour éclairer nos pas et nous conduire au port;
Maman, ce mot de vie aux portes de la mort !
Maman, faible murmure à l'heure du délire,
Maman sans qui "meilleur" resterait à traduire,
Appel muet de ceux qui n'ont plus de Maman.
Maman qui met au jour chaque jour son enfant.
Maman, rire de source et parfum de peau blonde,
Deux syllabes qui font le plus beau mot du monde,
Plein d'amour, de rumeurs, d'abeilles et de fruits.
Maman, ce grand soleil que n'éteint pas la nuit.
LA FEMME-ENFANT
Je suis venue à toi de plus loin que la terre.
Mes pas cherchaient les tiens, et mes yeux la lumière
Et l'eau de ton regard de fauve triste et doux.
J'étais la plante vive entre les sables roux.
J'avais soif, mon amour, tu m'as donné ta bouche.
J'avais froid dans l'hiver de mon âme farouche,
Tu m'as apprivoisée au chant de ta douceur
Et l'enfant que je suis repose sur ton coeur.
Tu tiens entre tes bras ta légende vivante,
La princesse endormie en sa robe d'infante.
Et cette femme-enfant dont tu rêvas parfois,
De plus loin que la terre, elle est venue à toi.
VENDREDI-SAINT
Il faut mourir, mon Dieu ! Revenez en mon âme!
Ayez pitié de nous, ne m'abandonnez pas
Moi qui depuis longtemps n'ai plus suivi vos pas !
Au seuil de votre mort, voici mon coeur de femme.
Lentement, nous avons souffert votre agonie.
Trois heures ont sonné sur nos doigts enlacés
Et votre soif, mon Dieu, remplaçait les baisers
Que s'étaient interdits nos bouches désunies.
Aujourd'hui votre sang a coulé pour nous deux.
Nous étions près de vous, en face du supplice,
Seuls, à vous répéter : "Eloignez ce calice !
Que votre volonté s'accomplisse, ô mon Dieu !"
Vous choisirez qu'il soit fait de marbre ou d'argile,
Ce pauvre amour qui saigne au pied de votre croix.
Mon Dieu, jetez sur lui votre manteau de Roi :
Les fleurs éclosent mieux hors des murs de la Ville !
RECHERCHE
Je chercherai longtemps
Le pourquoi de ma vie,
Le but de mes instants
Sur la route suivie.
Je chercherai dans l'eau
Le secret de la source.
La lune et son halo
Me suivront dans ma course.
Je chercherai ta voix
A travers le silence
Et tu diras pour moi
Les mots de mon enfance.
Je chercherai ta main
Dans les doigts de la foule
Et tout l'espoir humain
Dans les bras de la houle.
Je chercherai l'amour
Dans tes yeux immobiles,
O guetteur de la tour
Qui domines ma Ville.
Lorsque j'aurai traduit
Le secret des musiques
Et capturé la nuit
Dans mon filet magique,
J'allongerai mon corps
Au bout de l'aventure
Guitare aux mille accords
Contre tes cordes dures.
CAUCHEMAR
J'étais le bateau blanc noyé dons la tempête...
La figure de proue avait perdu la tête
Et des soleils éteints tournaient autour du mât
Dans un silence tel qu'on ne l'entendait pas.
J'étais là, suspendue aux premières étoiles
Qu'une blonde araignée accrochait à sa toile.
Mon ciel était ce nid d'insectes crépitants,
Un monde où le silence est toujours hors du temps.
J'Ignorais la douceur d'un voyage immobile
Et le balancement des grands vaisseaux tranquilles
Qui regagnent le port les flancs chargés de grains,
Parfumés de soleil, d'océans et d'embruns.
Tu m'as tout apporté: le soleil et l'écume,
Les mille et une nuits de mes rêves de brume,
L'enchantement salé de ton baiser d'amant,
Le havre de tes mains pour mon front délirant.
J'étais le bateau blanc, sans loi, sans capitaine.
Tes bras autour de moi se sont faits tendres chaînes
Et je pars vers la vie après ma longue mort.
Le calme est revenu : le bateau rentre au port.
LES DEUX CHEMINS
Pourquoi nos deux chemins d'écumes et de brumes,
Nos deux chemins noyés d'ombre et de fixité,
Se sont-ils confondus en mince trait de plume
Tracé sans hésiter ?
Pourquoi s'être cherché sans se connaître encore
A travers le dédale où s'égarent les fous,
Et s'être reconnu devant la même aurore
Et le même remous ?
Pourquoi tes bras tendus m'ont-ils emprisonnée
Moi qui rêvais d'une île aux flamboyants matins
Où n'accostent jamais les voiles déployées
Des vaisseaux incertains ?
Pourquoi l'oiseau muet qui dormait en sa cage
A-t-il redécouvert le secret des chansons,
Le vertige du nid, le goût des fruits sauvages
Et l'écho de ton nom ?
Le sais-tu, toi, mon sage et mon fou solitaire ?
Pourquoi nos deux chemins se sont-ils épousés, ?
C'est que le ciel est ciel et que la terre est terre
Et l'amour insensé!
AUTOMNE
Plus jamais je ne veux voir au fond de tes yeux
Le reflet torturé des arbres de l'automne !
Je veux des arbres verts, peuplés de chants joyeux
Dans l'eau de ton regard où mon amour s'étonne.
Depuis que j'ai senti le doute de ton coeur,
Je n'aime plus l'automne et sa mélancolie.
Et je souffre à mourir de ta propre douleur,
Ce vertige d'oiseaux qui cerne ma folie.
Ecoute... Je t'appelle et ta voix me répond,
Je sais que dans ta nuit j'habite tes draps blêmes
Et que mon lit d'enfant se réchauffe à ton nom.
Je t'aime infiniment, infiniment tu m'aimes.
Cependant je chancelle ... et, prise au tourbillon
Du manège qui tourne et tourne dans ma tête,
Je voudrais m'endormir à l'heure où Cendrillon
Abandonna le bal et ses échos de fête.
Je voudrais oublier ma sandale de vair
Sur le sentier d'automne où s'accroche la brume
Et ne jamais quitter ces horizons pervers
Que tout l'amour du monde incendie et consume !
ET SI JE VOUS DISAIS...
Et si je vous disais que, moi, j'y crois encore ?
Je crois au matin bleu des rêves enfantins,
Au messager sans nom que dresse le destin
Contre un mur de cristal où s'habille l'aurore.
Je crois en vous, bonheurs, tendres lutins d'argent
Qui peuplez la chanson de mon coeur plein d'étoiles
Je crois en vous, enfant prisonnier de vos toiles,
Petite fleur d'hiver au rire de printemps.
Je crois au paradis des barques sidérales,
Au ciel des nuits d'été quand les cigales font
Vibrer leur fifre d'or avec le cor profond
De la mer et du vent au seuil des cathédrales.
Je crois à l'inconnu qui capture mes doigts,
Au train vertigineux qui brûle les frontières,
Aux fantômes légers qui réveillent les pierres,
A l'oiseau qui m'adopte et fait son nid en moi,
L'amour est mon ami, Noël est mon aurore,
Les miracles sont miens, les mirages aussi.
Merveilles de mon coeur, n'êtes-vous pas ici ?
Et si je vous disais que, moi, j'y crois encore ?
LE CHANT DU CYGNE
Etre ton chant du cygne et boire sur ton coeur
L'ultime amour qui monte au sommet de la joie.
Trouver entre tes bras l'extase et la douceur,
Faut-il que je le croie ?
Te donner sans un mot ma bouche à respirer.
Joindre l'épithalame aux chants bleus des abeilles,
Ouvrir à ton baiser, si longtemps espéré,
Mes secrètes merveilles.
Etre tout à la fois ton rêve et mes regrets,
Te donner une main pour épouser la tienne
Et goûter avec toi le supplice et la paix
Des conquérants sans chaînes.
Etre ton dernier jour et ta dernière nuit,
L'asphodèle tardive éclose entre tes paumes,
Perdre tout souvenir et nous aimer sans bruit
Au coeur de ton royaume.
L' "A" FINAL
Mon premier, "ALMICANTARAT"
C'est l'A des jeunes aventures,
Le temps de "qui vivra verra",
Où rien ne croît, où rien ne dure.
Les "ASTRAGALES" en second,
C'était le blé qu'on met en gerbe
Avec l'ivraie ou le mouron.
C'était déjà le temps du Verbe !
Mon troisième, un "ALCARAZAS"
Auquel sonnerait à l'oreille
La méchante rime d' "hélas !"
Si j'étais toi, pauvre Corneille !
Mon quatrième fut AXEL,
Le plus beau de tous mes poèmes,
Le seul de mes péchés mortels
Dieu sait si j'en ai faits ! - que j'aime !
Et l'A final d' "A CAPPELLA"
- La double échelle de ma lutte -
Referme lentement ses bras
Pour mieux m'entraîner dans sa chute.
Mais il me reste l'Alphabet.
La prochaine lettre est un B...
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