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AURA

Editions Tony Lopez 1987

 

Je dédie ce livre aux deux êtres
qui m'ont un jour offert la vie
et dont l'amour me nimbe
d'une aura de lumière.

 


 

AVERTISSEMENT AU LECTEUR

Les coeurs secs sont priés de rester à la porte
Je ne veux pour me lire aucun regard glacé.
J'ouvre grande ma page aux yeux d'enfants blessés,
Je clos ma parenthèse aux âmes déjà mortes.

Vous qui lirez ces vers chassez de votre esprit
La rancune, l'aigreur. Essayez d'être calmes,
Buvez l'alcool des mots comme le vin de palmes,
Epousez ma musique et vous aurez compris.

Il n'est place en ces lieux qu'à vous, amis que j'aime.
Vous êtes de ceux-là. Merci de m'accorder
Cet instant de silence à l'amour encordé.
Merci d'être vivants au coeur de ces poèmes.

 


AURA

Aura qui m'enveloppe et se déroule comme
Un champ de vers luisants dans un essaim d'atomes,
Aura, voile de feu qui fend l'obscurité
Et fait coucher la nuit aux pieds nus de l'été.

Aura qui me protège, invisible vestale
Ranimant l'étincelle; allumeuse d'opale,
Au fond de ma mémoire et de l'informulé
Je suis dans ton faisceau d'étoiles constellé.

Ton bleu rayonnement de glaces éternelles
Réveille au fond de moi quatrains et villanelles.
Je surgis de l'hiver et le givre des mots
S'accroche au tourbillon de ta robe d'émaux.

Aura, mon Arlequine et ma tendre chimère,
Veilleuse de mes nuits et souffleuse de verre,
De ton halo bleuté comme un premier matin
Tu fais renaître en moi tous les soleils éteints.

 


NOCES DE DIAMANT


(1925 - 1985)
(Pour mon Père et ma Mère)

Deux profils découpés sur l'horizon du temps.
Le couple des regards où tremble le vertige.
Toi, fille de l'été, toi, l'enfant du printemps,
L'étreinte de deux fleurs sur une même tige.

Au rythme des roseaux inclinés sur l'étang
Vous parcourez tous deux les rives du voyage
Où coeurs en filigrane ensoleillent l'instant,
Paysage d'amour déroulé page à page.

Jumelage attendri des nuits et des matins
Pour les adolescents éternels que vous êtes,
Avec sur vos cheveux le gel adamantin
Que sème l'infini sur l'aura des comètes.

Noces de diamant et soixante ans d'amour
Inaltérable et fort; étincelles de gemmes
Plus solides que roc, plus douces que velours.
Vos soixante ans d'amour, mon Dieu, que je les aime !

 


A L'ABRI DU TEMPS

Et si je vous disais que depuis si longtemps
Rien n'a vraiment changé ? Je suis toujours la même.
Mon coeur et mes cheveux sont parsemés d'argent,
Mais tout ce que j'aimais, infiniment je l'aime.

Je ne vois pas vieillir mes amis de jadis.
Ils sont là, préservés de la griffe de l'âge,
Tels qu'à l'aube des temps l'imputrescible lis.
Je crois en toi miracle éternel du mirage.

Et si je vous disais que la main qui se tend
Peut rompre le silence et réveiller la flamme ?
Que rien ne devient sable entre les doigts du temps
Si l'amour a frôlé de son aile votre âme.

 


L'OEIL DU TIGRE

J'ai sous les yeux l'éclat minéral d'un cadeau.
Oeil de tigre irisé des couleurs de la terre,
Eclair oblique et blond, archet du concerto,
Limpidité du coeur dans le coeur de la pierre.

 


LA CAVERNE D'ALI BABA

Laissez-moi vous mener là-bas
Au pays de la chrysoprase.
Regardez s'ouvrir à l'extase
Ma caverne d'Ali Baba.

L'aragonite et la topaze
Cachent le lapis lazuli.
La calcédoine ouvre son lit
A la volupté des turquoises.

L'opale éteint son oeil lacté
Devant l'éclat de l'améthyste.
Apprenez-moi quel est l'artiste
Dont le génie a pu sculpter

D'un ciseau d'essence divine
Les méandres verts de l'onyx
Et ces chefs-d'oeuvre signés "X"
D'un paraphe de serpentine.

 


LA CHANSON D'AUTREFOIS

Ne plus jamais poser mes pas sur le chemin
Qui retourne en arrière,
Ne plus jamais revoir les jours sans lendemain
Et l'eau de nos rivières.

Je ne le pourrais pas puisque tu restes là,
Présent à chaque pierre.
Même si je voulais, je ne le pourrais pas,
Ton ombre est ma lumière.

J'ai, pour bercer mes nuits, les reflets roux du bois
Qui brûlent mes paupières.
Et, pour rêver mes jours, ton anneau d'or au doigt
Qui me tient prisonnière.

Nous avons tous les deux, après tant de saisons,
L'indulgence plénière
Qui nous fait retrouver les mots de la chanson
Et sa rime première.

 


LA DANSEUSE

Ondine claire aux cheveux flous,
Les bras arrondis pour la danse,
Il me souvient du rythme fou
Venu de tes pieds en cadence.
Il m'en souvient, vertige d'or,
Au coeur de la nuit espagnole.
Mais je t'associe au décor
Avec ta flamme de luciole.
Renversée au rythme des sons,
Tes longues jambes d'enfant sage
Ivres des mots de la chanson
Ne touchent plus le sol. Tu nages
Et l'air soutient tes petits pieds
Zébrés de lune et d'oliviers.

 


PORTRAIT

Ton personnage est-il un mythe
Ou bien l'écho d'un monde fou,
Une sorte de sybarite
Rêvant de Mozart à genoux ?
Au-delà de l'oeil qui scintille
D'une ironie à fleur de peau
Blessé parfois de banderilles
Ou par le boomerang des mots,
Un homme jaillit de sa fête
Riche d'être ce qu'il n'est pas.
Beau parleur, cynique et poète,
Orphée oublié des faux-pas,
Un jongleur de thèmes, d'images.
Navigateur sans le compas
Et pourtant, droit devant, il nage.

 


LE RIRE

La mèche est allumée. Une pâle étincelle
Serpente en grésillant, hésite. puis repart.
S'arrête en un hoquet et bondit de plus belle
Jusqu'au rire endormi dans son coffret de fard.

Le rire prisonnier éclate et se libère.
Il secoue un instant le masque fabriqué,
Eclaire les fronts lourds retrousse les paupières
Et s'échappe des dents comme on franchit un gué.

On voit sortir alors des livres qui s'étirent
Un tintinabulant cortège de gaîté.
Il glisse en éteignant sur la bouche un sourire.
Le rire prend son vol pour ne plus s'arrêter.

Des mains vont l'étouffer, mais son poids les écarte.
Il passe entre les doigts crispés sur le torrent
Que rien ne peut tarir. Trop tard ! Il faut qu'il parte.
Trop tard ! Il est parti, railleur, exaspérant.

Et son frêle grelot chemine et se propage.
Le mal contagieux ne connaÎt pas d'arrêt.
C'est le magicien qui rend aux vieux visages
Un instant de jeunesse, en détendant leurs traits.

Il est parfois cruel, mais aucune puissance
Ne peut le refréner. On sait qu'il fait souffrir,
Que son dard de lumière ignore la clémence,
Qu'il aveugle, qu'il tue et doit aussi mourir.

Que reste-t-il alors quand le rire se brise ?
Une épaule qui tremble au rythme des rumeurs,
Un regard ébloui par une larme grise,
Une larme égarée où le rire se meurt.

 


LA CHATTE NOIRE

Plume noire, je vole et je plane
Sans déranger l'ordre établi.
D'un saut léger d'aéroplane,
Je me ramasse et j'atterris.

Douze coussinets élastiques
Freinent l'élan de l'arc bandé
De mes reins qu'une onde électrique
Parcourt en frissons saccadés.

J'ouvre une seule parenthèse
(J'ouvre ou je ferme, à votre gré)
Et voltige sur mon trapèze
En petits bonds désintégrés.

Parfois mon panache interroge
Ou s'exclame; cela dépend
Du temps qui sonne à l'horloge
Ou de l'hiver, ou du printemps.

Je fais ainsi de la grammaire
Que toi qui m'aimes comprends bien.
Dans ma chanson de solitaire
Ronronnent des alexandrins.

Qu'importe si je suis petite,
Je détiens le trésor des dieux.
Mes yeux d'or offrent leurs pépites
Aux orpailleurs penchés sur eux.

 


LA HULOTTE

Court éblouissement de plume ébouriffée,
Oeil nocturne agrandi par l'éveil, oiseau-fée,
La petite hulotte entre mes doigts chauffée
Egrène nos amours sur la lyre d'Orphée.

Je revois le château coiffé du ciel d'Anjou,
La barque où je posais mon front sur tes genoux,
Le cheval immobile auprès de nos jeux fous,
Tes cheveux de soleil au vent comme un bijou.

J'aime l'oiseau des nuits et son regard étrange.
Je hais la main qui cloue à la porte des granges,
De pourpre ruisselant comme vivante frange,
Cet oiseau de la mort avec ses ailes d'ange.

Silencieusement je l'avais appelé.
Il est venu vers moi d'un très lointain palais.
Je le chauffe à mon coeur en écoutant trembler
Aux portes d'autrefois l'amour écartelé.

 


LA MARMOTTE

EIle surgit l'oeil clignotant
D'un long sommeil dans sa tanière
Et scrute la blonde lumière,
Garde-champêtre du printemps.

Le poil hérissé de broussailles,
Elle inspecte de tous côtés,
Renifle l'air de son gros nez
Où les poils se livrent bataille.

Assise comme un chien d'arrêt
Elle émet une courte plainte.
Ses yeux en raisin de Corinthe
Parcourent le vert des forêts.

La marmotte sent passer l'aile
Du vent parfumé des sous-bois.
Elle guette croquant sa noix
Droite comme une sentinelle.

 


LA MÉDUSE

Gélatine en surfusion,
Remous dantesque de pensée,
N'est-elle qu'une illusion
La méduse cristallisée ?

Insolite amas de cosmos,
Quel horizon embryonnaire
Transcendental et couleur d'os
Pour l'oeil fou du visionnaire !

Cette mousse de devenir
Suspendue à ses murs de sable
Aux fleurs de corail va s'unir
En des noces inéluctables.

La méduse aux larmes de lave,
Flasque reflet des eaux marines,
Cellule que l'océan lave
Est-elle d'essence divine ?

 


L'ÉCHO

L'écho t'a répondu. Pardonne-lui, mon coeur,
Plutôt que le miroir d'avoir été le prisme.
Pardonne au gris du jour l'étrange mimétisme
Qui le fait rose ou noir au gré de sa torpeur.

Si la fleur s'ouvre au vent, faut-il blâmer l'abeille ?
Faut-il assassiner l'amour adolescent
Alors que du ruisseau qui coule avec son sang
Roulera l'or des nuits, mille et une pareilles ?

Depuis notre voyage à l'autrefois si près,
A travers le silence, il a grandi notre arbre.
Il a le tronc poli des colonnes de marbre
Et le feuillage bleu que j'aime des cyprès.

L'écho t'a répondu. Ne crains rien, mon farouche.
Ne cabre pas tes reins, mon sauvage, mon fou,
Nous le traverserons ce torrent fait de nous,
Tes yeux rivés aux miens et tes doigts sur ma bouche.

 


LES FEUX ÉTEINTS

Je suis le gué de ta rivière,
L'insecte qui vibre à ton doigt,
Je suis la nuit de ta lumière,
Le soleil mauve de tes bois.

Je suis le torrent où ricoche
Le silex aigu de tes yeux.
Je suis ta peur et ton reproche
Et dans ton coeur je suis le pieu.

Je suis celle que tu consoles,
Ton signe noir et ton oubli.
Je suis le mot de tes paroles,
De ton manteau je suis le pli.

Je suis le sang de tes artères,
L'aube d'un jour et son déclin.
Je suis le parfum de la terre
Et l'eau claire de ton moulin.

Je suis ce poids sur ton épaule
Et ces larmes que tu retiens.
Je suis l'Equateur et le Pôle,
Mon rêve d'amour et le tien.

Je suis le vent de ta mémoire,
Le cri blessé de tes matins.
Je suis ta flamme pourpre-noire
Et je brûle à nos feux éteints.

 


J'AI FROID

(à R.M. ami disparu)

J'ai froid, froid comme toi; j'ai mal à mon passé.
Entre chêne et glaïeuls, nimbé du sang des roses,
Le froid t'a recouvert d'un suaire glacé.
J'ai froid. J'ensevelis ma jeunesse et je n'ose

Comprendre que là-bas, entre les cierges blonds,
Ma tendresse perdue à tout jamais repose.
Tu grandis dans ta mort et le chemin est long
Pour atteindre ta voie où les roses déclosent.

Bach s'élève au sommet de ses deux violons.
Ma solitude épouse, au seuil de ta détresse,
Toi seul qui restes là. Les fleurs pleurent ton nom.
J'ai froid, froid comme toi. J'ai mal à ma jeunesse.

 


LE FIL

Combien de mots et de folies
Tout au long de ces ans passés
Ont tissé le fil qui nous lie
Entre nos deux arbres dressés.

Qu'il est beau notre fil limpide
Plus solide que fil d'acier.
Il tremble au vent qui le dévide
Et tient bon comme un peuplier.

Il miroite au soleil des âges,
Fil de la Vierge entre deux coeurs.
Il est le gardien du passage
Qui mène vers un autre ailleurs.

Ne brisons pas le fil de givre.
Il est unique, étrange et doux
Et si nous parvenons à vivre
Peut-être le lui devons nous...

 


A Jean et Robert CASADESUS

(Jean CASADESUS, mort accidentellement le 20.01.72
Robert CASADESUS, son père, disparu le 19.09.72)

La neige tombe et fait sur les bémols des arbres
Le clavier sans écho
Du dernier concerto.
L'archange blond sourit sous son masque de marbre.

Il ne peut pas mourir, ce jeune dieu si beau.
La musique respire
Au coin de son sourire.
De Couperin il rêve, et non de son tombeau.

A l'instant suspendu, l'archange a fait un signe,
Un adieu de si loin.
Son père l'a rejoint
Pour qu'il ne soit pas seul en franchissant la ligne.

Il a pris dans ses bras le grand enfant qui dort
Et comme la marée
Les mains inséparées
Ramènent au soleil une écume d'accords.

Au delà de la mort, ils ont repris ensemble
L'andante à quatre mains
Sur un clavier d'airain.
Et les vitraux de Saint-Séverin les rassemblent.

Ils sont, comme eux, lumière et présence de feu.
Bras tendus des ogives
Et chant clair des eaux vives,
Au triomphe de l'orgue ils sont là, tous les deux.

Et c'est le verbe aimer que les voûtes conjuguent,
Et c'est Bach dans le chœur
Qui réunit les cœurs
Du père et de son fils dans leur ultime fugue.

 


LE MIROIR BRISÉ

Il a suffi, ce soir, qu'à travers le silence
Ta main rouvre le temps où tu t'étais figé.
La guitare grelotte au rythme de l'absence,
Le grenier fabuleux surgit : rien n'a changé.

Mon passé qui renaît n'a même pas de ride.
Aucun cheveu d'argent ne neige sur son front.
Il a l'immensité que torture le vide
Et la douceur d'une aube où l'oiseau tourne en rond.

O mon passé tout blond, enfant de mon enfance,
Je n'ai jamais aimé que ton profil aigu.
Je n'ai jamais saisi ton reflet ni ta danse
A travers les échos de mon rêve perdu.

Je te croyais parti, mon ange de médaille,
Avec une chanson, comme un brin d'herbe, aux dents,
Et tes cheveux d'aurore accrochés aux broussailles.
Je te croyais enfui de mes buissons ardents.

Ta main brune, immobile, se dresse comme un signe.
O mon passé tout blond, c'est l'heure du retour
Le soleil de l'automne ensanglante la vigne
Et le miroir brisé se constelle d'amour.

 


LA ROSE

La rose d'autrefois s'effeuille dans la coupe.
Elle a, malgré le temps, gardé l'odeur des nuits
Où les embruns salés venaient contre la poupe
De nos espoirs enfuis.

Un enfant blond sommeille au fond de ma mémoire,
Frappé comme médaille au centre de l'airain.
Je l'ai tant souhaité qu'il m'arrive d'y croire
A l'enfant de tes reins.

De longs printemps déjà séparent nos deux rêves,
Mais ils chantent si clair que parfois je me sens
M'enrouler dans ta vague et mourir à la grève
Où la rose est de sang.

Je respire à nouveau nos écumes mêlées,
Les parfums vaporeux des bouquets d'autrefois.
Dans la coupe où se meurt la rose échevelée
Je te respire, toi.

 


JE NE VOUS AIME PAS

Les mots sont superflus
Pour expliquer l'affaire
Ou le malentendu,
Et rien ne peut y faire.

Le masque est trop tendu
Sur votre front trop large.
Le sourire entendu
Est une note en marge.

Vous abritez un coeur
Serré de bandelettes.
Sans espoir l'oiseleur
Y cherche l'alouette.

Je ne vous aime pas
C'est là tout le problème.
Et la rime tout bas
Me souffle "je vous aime".

 


REQUIEM ET ALLELUIA

(5 décembre 1791 : mort de Mozart
5 décembre 1957: naissance de mon fils, Axel)

Mozart est mort. Tu viens de naître.
- Requiem et Alleluia ! -
Le givre glace la fenêtre
De bémols et de clés de fa.

5 Décembre : à Salzbourg, il neige.
Paris de brume couronné
Rassemble quelques blancs arpèges
Sur ton berceau de nouveau-né.

Mozart est mort pour que tu viennes
Cent soixante six ans plus tard.
Enfant de Paris et de Vienne,
Tu viens de naître avec Mozart.

 


ECLOSION

Qu'elle est dure à briser la fragile coquille
Qui ferme l'univers ! Coups de front, coups de becs,
Coups de patte et de plume à petits coups très secs,
La sphère en fusion se fêle et se fendille.

Encore hier blottis dans leur nid de varech,
Immobiles et bleus, perles d'un collier tiède,
Les oeufs bruissants de vie et d'avenir, sans aide,
S'entrouvrent sur l'aurore au dernier coup de bec.

Ce combat que l'oiseau livre pour sa lumière,
Il te faudra longtemps, mon fils, pour t'y lancer,
Et beaucoup de printemps pour savoir ce qu'il sait.
Ta coquille est plus dure à percer que la pierre !

 


BALLADE POUR UN SOURIRE

Pour un sourire de tes yeux,
Pour une étoile au fond des cieux,
Pour une fontaine bavarde,
Je donnerais sans hésiter
La douceur des plaines lombardes,
La tour de Pise et l'Alhambra.
Je donnerais l'éternité
Pour une étreinte de tes bras.

Tous les chevaux d'Afghanistan
Pour le plus fou de tes instants
Et Notre-Dame au clair de lune,
Je la verrais sans hésiter
S'engloutir ainsi que fortune
Dans les sables mouvants du temps.
Je donnerais tous mes étés
Pour le bouquet de ton printemps.
Pour la caresse de ta main,
Je donnerais l'eau des jasmins,
L'éclair de l'étoile filante.
Et pour apprendre à t'écouter,
Toi l'allegro de mon andante,
Je n'entendrais plus les oiseaux
Ni la brise dans les roseaux
Et je mourrais sans hésiter.

 


MÈRE ET FILS

Pas une cellule semblable,
Pas une fibre de ta chair,
Je suis la mer et toi le sable,
Je suis le sable et toi la mer.

Tu dis que rien ne nous rapproche.
Je suis le vent et toi l'éclair.
Je suis le battant de la cloche
Et toi son écho dans les airs.

Tu dis que je froisse tes ailes.
Je suis la veine et toi le sang,
Je suis l'Elle de toutes "Elles"
Et toi le témoin du présent.

Je suis la mer inapaisée,
Toi l'écume et le goéland.
Je suis la coquille brisée
Par le reflux de l'océan.

Je suis le chêne et toi le hêtre
Qu'une même hache poursuit.
Je suis ce que tu ne veux être.
Et toi tout ce que je ne suis.

 


SEIZE ANS

Mille étoiles au front, seize ans pour balancier
Fragile comme bulle,
Qu'il est ténu le fil où tu posas le pied,
Mon petit funambule !

C'est l'épreuve du feu, le passage interdit
Où le regard chavire,
Le cri d'un oiseleur vers d'autres paradis,
Le départ du navire.

Seize printemps, mon fils, c'est un envol de fleurs
Sur un miroir opaque.
C'est l'aube qui s'irise à l'arc-en-ciel des pleurs,
C'est Noël et c'est Pâques !

Je te les ai polis tes seize ans, mon amour,
Et ces mèches de givre
Ce sont, sur mes cheveux, plus de cinq mille jours
A te regarder vivre.

Mille étoiles au front, seize ans pour balancier
Fragile comme bulle,
Qu'il est ténu le fil où tu posas le pied,
Mon petit funambule !

 


PRÉLUDE EN DO

Coeur contre coeur et rose à rose,
Deux sources de sang et d'amour.
Le même sang, la même cause
Et ton sourire au premier jour.

Comment t'expliquer le mystère ?
Chaque seconde que j'entends
Battre à l'heure de mes artères,
Je te porte en moi, comme avant.

Ce soir, je vais te mettre au monde,
Mon fils, pour la seconde fois.
Tu dors encore au creux de l'onde,
Mais que, ce soir, un Homme soit !

Nous sommes deux aux orgues claires;
Moi, petite ombre dans ton dos.
Et toi baigné de la lumière
Qui monte du Prélude en do.

 


LA BOULE BLEUE

Un peu de rêve emprisonné
Dans la boule bleue insolite.
Est-ce la terre ? un satellite
Prisonnier du verre irisé ?

Je vois danser les bulles folles
D'un théâtre en apesanteur
Dont tu serais le seul acteur
Sous les lampions des lucioles.

Pourquoi te voir en ce cristal
Qui n'est pas boule de voyante
Mais une sphère étincelante
Dans un mirage sidéral ?

Je t'aurais mieux vu sous l'écorce
Du bois abruptement sculpté
D'un tilleul volant à l'été
Sous la fragilité sa force.

Dans ce globe pourtant c'est toi
Que je retrouve ou que j'invente.
C'est toi que chaque jour j'enfante
Et c'est mon rêve que je vois...

 


VINGT ANS

20 ans ! grand cygne blanc face au soleil d'été,
Vaisseau couleur du gel bleuté de la banquise,
Paon roux qui fait la roue et que l'amour déguise
En arbre de Noël de rubis pailleté.

20 ans : reste d'enfance autour d'une rondeur,
Timide oiseau brisant sa coquille légère
Ebouriffé de vie, enivré de senteurs
D'herbe et de romarin qui montent de la terre.

20 ans, petit coureur sur les chemins pierreux,
Caillou rond qui ricoche en bond de sauterelle.
20 ans c'est l'âge d'or où l'on est amoureux,
20 ans c'est un envol dans un battement d'aile.

 


COLORADO


(en clin d'oeil très tendre à Federico G. Lorca)

 

Nous irons au Colorado
Et nous serons les chercheurs d'eau
Dans la rivière abandonnée
D'un rêve lourd de tant d'années.
Ce sera mon dernier cadeau.
Nous irons au Colorado.

Nous irons au Colorado
Sans souvenirs et sans fardeau
Et dans les failles dentelées
D'une mémoire ensorcelée
Nous cheminerons crescendo.
Nous irons au Colorado.

Nous irons au Colorado.
Tu me porteras sur ton dos
Et sur l'orgue de la Vallée
De la Mort si près survolée
Tu joueras le Prélude en do.
Nous irons au Colorado !

 


IL ÉTAIT UNE FOIS...

Il était une fois au fond de ma mémoire
Un conte pour enfants qui dormait doucement.
Le conte est devenu l'inracontable histoire
D'un enfant nouveau-né grandi trop brusquement.

Il était une fois, te souviens-tu mon ange,
Une fée attentive à ton premier soupir.
De ses mains jaillissait une musique étrange
Faite de ma jeunesse et de ton devenir.

Il était une fois, il ne saurait plus être
Cet instant arrêté devant ton premier cri.
Je regarde partir du haut de ma fenêtre
Cet enfant que tu fus et pour lequel j'écris.




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